jeudi 19 janvier 2012

Le Dewoitine D.520 : Politique et Compétence en totale contradiction (Révisé 12 / 06 / 2021 ***)

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Lorsque l’on a subi une défaite militaire aussi sévère que celle du 24 Juin 1940, la seule façon de s’en sortir est d’analyser sans aucune complaisance ce qui nous y a conduit.

Sans pouvoir faire le point complet sur le sujet, car il engage beaucoup l'incompétence politicienne et la sclérose intellectuelle des grands chefs militaires, on peut quand même avancer vers la vérité à partir d’exemples précis.

Le Dewoitine 520 au début de Mars 1939


Ainsi, après juste quelques semaines d’essais, les performances et qualités de vol du Dewoitine D 520 le positionnaient pour devenir LE chasseur Français le plus efficace (ce qui sera peu après confirmé pleinement par sa participation à la guerre).

Il était sorti du CEMA en Mars sans aucune critique, avec même des commentaires élogieux et, pourtant, des pourparlers entre les hauts responsables en ont retardé la commande de principe jusqu'au 7 Avril 1939 (et la commande réelle de bien plus longtemps encore).


Pour comprendre l'histoire, faisons un petit rappel à partir des données de données issues de la "bible" du Dewoitine 520 (Le Dewoitine D.520, R. Danel et J. Cuny, Docavia N°4, ed. Larivière) :

Le D 520-02 essayé au CEMA début 1939 pesait 2 535 kg au décollage (charge alaire 158.7 kg/m²).


Il était équipé d’un moteur Hispano-Suiza 12Y29 de 810 Cv au niveau de la mer et de 920 Cv à 3 600 m. 


Ce moteur consommait de l’essence à 100 d’octane (mais on pouvait, à la rigueur, lui fournir du 90 d'octane).

La vitesse de pointe du D.520-02 était de 527 km/h à 5 000 m.

Il grimpait à 8 000 m en 13’45".

L’autonomie était de 950 km à 350 km/h et le plafond de 10 500 m.



Dewoitine D.520 - prototype 01 ou 02 -  Collection de l'auteur - photo publiée dans Paris-Match du 23/02/1939  - Le flou intentionnel était censé donner l'impression de vitesse !


Le grain de sel chronophage des commissions dites "techniques"


Le bon sens aurait voulu que l’avion soit commandé et construit tel qu'il avait été essayé, puisque, sous cette forme, il répondait parfaitement aux exigences du programme. 

Seule objection, comment justifier le salaire des "spécialistes" qui siégeaient dans de multiples commissions ? 


Alors, pour commencer, il fallut changer le moteur Hispano-Suiza 12 Y 29 pour un 12 Y 31. 


Pourquoi ? 

Parce qu'il était disponible et  qu’il consommait la même essence que tout le parc motorisé de l’Armée de Terre, l’essence à 87 d’octane.

Ce moteur Hispano-Suiza 12 Y 31 avait une puissance de 760 Cv au niveau de la mer et de 860 Cv à 3 150 m.


Le calcul prévoyait pourtant que la vitesse tomberait à environ 505 km/h (perte de 20 km/h, dont 12 km/h dus aux 60 Cv disparus et 8 km/h dus à la perte de 400 m d'altitude de rétablissement de la puissance du moteur).

Bien sûr, la vitesse ascensionnelle aurait obligatoirement suivi la même dégradation.

Pour autant, le D 520 à vrai moteur 12 Y 31 aurait apporté une sacrée amélioration aux pilotes de chasse par rapport aux 450 - 460 km/h et 7 000 m en 18' du Morane 406.

Mais alors, pourquoi ne pas avoir donné ces moteurs à la version 1938 du Nieuport 161 avec échappements propulsifs (515 km/h, 8000 m en  moins de 11').



Le CEMA viole les lois de la physique !


Surprise, ce D. 520 abâtardi, essayé - très tardivement - au CEMA, s'y révéla plus rapide que le précédent.

On lui trouva, en effet, une vitesse de pointe de 550 km/h à 5 200 m.

La montée à 8 000 m gagnait 1 minute pleine (12’ 52").

Seul le plafond baissait à 10 250 m.

Surprenantes, ces performances ? miraculeuses ? 

Non, ce n'était pas un miracle, mais juste une arnaque !

Si on baisse la puissance d’un avion sans rien changer d'autre, il va évidemment moins vite, jamais plus vite. 


C'est une banale loi de la physique.

De plus, avec un moteur qui rétablissait la puissance seulement jusqu'à 3 150 m, la vitesse maximale ne risque pas d'être obtenue 350 m plus haut que celle obtenue avec un moteur dont la puissance supérieure, culmine à 3 600 m.

Le pilote a peut être volé réellement à la vitesse indiquée, mais alors son moteur n’avait rien d’un 12 Y 31 de série.

La même arnaque avait bien fonctionné pour imposer l'achat du Morane 406 !

Le chef mécanicien Geiger (à lire dans les Forces Française Libres, in Icare), en poste à  Haïfa, en Septembre 1940, avait dopé le même type de moteur 12 Y 31 grâce aux techniques des préparateurs de moteurs de course automobile. 

Monter le taux de compression et polir les conduits d’admission et d’échappement, en améliorant la circulation du mélange carburé, augmentait la puissance de manière significative (le Morane 406 ainsi équipé stupéfiait les témoins, mais il avait cassé peu de temps après).


{Parenthèse du 26 11 2016 : Dans "Les Ailes" du 12 Janvier 1939, on pouvait lire que "le D 520 allait recevoir le moteur Hispano-Suiza 12 Y 51". 

Quelques semaines plus tard, dans le même journal, Marcel Doret évaluait la vitesse d'un D 520 ainsi motorisé à 550 km/h.

Le test de Septembre 1939 du CEMA a certainement été réalisé avec un 12 Y 51, pas avec un 12 Y 31. 

Pourquoi alors transmettre l'information erronée de l'emploi du moteur du MS 406 ? }


Entre Avril et Juillet 1939, alors que Dewoitine pouvait enfin préparer la construction en série du chasseur commandé, les services du Ministère de l’Air changèrent encore d’avis sur le moteur qui devait maintenant être un Hispano-Suiza 12 Y 45.

En soi, ce n'était pas, en soi, un mauvais choix, mais cela aurait dû être annoncé des mois plus tôt.

La puissance de ce moteur était de 850 Cv au niveau de la mer et de 920 Cv à 4 200 m - grâce à l'excellent compresseur S39 H3 - et aussi grâce à l’essence à 92° d’octane.

Mais cela entraînait une conséquence non prévue par les décideurs car le nouveau bloc moteur portant le canon HS 404 et le nouveau compresseur, était sensiblement plus long. 


Le Dewoitine 520 de série


Le D.520 dut être allongé de 52 cm, ce qui augmenta sa masse et modifia certaines des capacités dynamiques de l'avion, augmentant les effets moteurs et rendant l'avion un peu moins facile à piloter aux grands angles.

Cela demanda aussi beaucoup de temps car personne n'avait eu l’idée somme toute élémentaire de voir ce que donnerait le montage du canon sur ce moteur (tout se passant comme si, en haut lieu, on ne savait même pas mesurer une longueur !). 

On rajouta deux mitrailleuses légères aux deux déjà montées. 

Finalement, le vrai D.520 de série N°2  décollait au poids de 2 650 kg (115 kg en plus que le 02) et atteignait une vitesse maximale de 535 km/h à 5 400 m et de 425 km/h au sol.

Il montait à :
  • 4000 m en  5' 13", 
  • 6000 m en  7' 57", 
  • 8000 m en 13'24".
L'autonomie était de 890 km sur le réservoir principal à 370 km/h et à 5 100 m.

Qu'avait-t-on gagné par rapport au prototype initial ? 8 km/h en pointe et 21 secondes pour monter à 8 000 m. On avait perdu énormément de temps pour si peu ! Dérisoire.

En résumé, les hauts fonctionnaires et les haut gradés n'avaient pas voulu écouter Emile Dewoitine, mais ils avaient voulu modifier son avion, juste pour exercer leur pouvoir. 

Jacques Lecarme disait de ce constructeur qu'il avait une solide confiance en lui, ce qui sonne comme s'il disait qu'Emile Dewoitine avait tendance à se vanter.

Au vu des résultats obtenus, Mr Dewoitine, lui, était totalement fondé à avoir confiance en son jugement.


Conclusion


Nos gens des commissions avaient surtout réussi à retarder son entrée en lice de 9 mois (et là, je suis gentil) ce qui a renforcé la Luftwaffe contre notre aviation et contre l’ensemble de nos forces armées et celles de nos alliés. 

Hitler pouvait leur en être reconnaissant. 

Ces fonctionnaires écoutaient ou faisaient partie de lobbies, ce qui a toujours été totalement opposé à leur statut et à l'esprit de leur métier (ce fut mon statut jusqu'à la retraite, donc j'en connais parfaitement l'esprit : Le service de la Nation et de son Peuple).

Une simple règle à calcul - sorte de calculette qui n'a jamais besoin de piles - leur aurait permis de voir que certaines de leurs propositions étaient inacceptables.

Sans doute avaient-ils réussi leur guerre de 1914-1918 ou avaient-ils passé brillamment des épreuves académiques.

Ils avaient juste oublié que la compétence d'un individu n'est jamais gravée dans le marbre une fois pour toute. 

Elle s'apprend chaque jour par le travail et le maintien du contact avec la réalité, mais sûrement pas dans les salons.

Certains de nos hommes sont morts à cause de leur incompétence.


Cela m'a toujours écœuré parce que cela avait touché mon pays, mais je le suis tout autant lorsque je vois des comportements identiques toucher des pays étrangers, en particulier lorsqu’ils sont amis...


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