samedi 17 mars 2012

Un poilu artiste-peintre en Italie - l'acclimatation (révisé 18 / 02 / 2016)




Lorsque mon grand père arrive en Italie, il est un homme de 37 ans, marié et son épouse est enceinte de ma mère. 

Il a déjà pas mal voyagé en France sans en avoir jamais, à ma connaissance, traversé les frontières. 

En tant qu'artiste-peintre, ce pays lui parle davantage qu'à tout autre, il s'y sent, en quelque sorte, dans sa seconde patrie.

L'Italie a engendré en son sein une foule impressionnante de peintres qui ont façonné leur art de manière indélébile et dont les tableaux remplissent tous les musées du monde. 

Par ailleurs, ce pays est un pays où la lumière ne manque jamais. 

Il paraît évident qu'un Georges de la Tour n'aurait probablement jamais inventé son style si particulier s'il avait vécu toute sa vie sous le soleil italien.




Une vision enchanteresse de l'Italie 



André touche pour de bon la terre Italienne le 21 Novembre 1917, dix jours après que l'annonce du déplacement de l'unité ait été annoncé. 

Ce nouveau cantonnement n'est évidemment pas encore celui où il sera amené à jouer son rôle de militaire. 

Les troupes Françaises qui les ont précédés ont été accueillies royalement par une population particulièrement amicale. 

Bien qu'arrivés plus tardivement, les hommes de l'escadrille 22 sont également accueillis avec beaucoup d'enthousiasme et de tous ces petits gestes qui font chaud au coeur :
"tout au long du parcours, les femmes agitaient leurs mouchoirs ou des étoffes, les hommes se découvraient et des bambini criaient eviva la Francia".

Même si ce type de manifestations est bien évidemment organisé, le fait même que cela continue montre que la population adhérait pleinement à l'alliance avec la France (ce qui, par exemple, fut loin d'être le cas avec la Grèce dans ces années-là).

Les conditions climatiques sont considérablement plus clémentes que sur le front Français. S'il fait froid la nuit, une fois le soleil levé, le jour est doux.

La première petite ville où il a la possibilité de déambuler est Ghedi, près de Brescia. Dans un restaurant rempli de soldats Italiens, Britanniques et Français, il rencontre un soldat Italien, mitrailleur dans une escadrille Italienne. 

Cet homme lui apprend à se faire comprendre et quelques mots d'Italien.

Ils vont prendre le café ensemble dans un autre cabaret mais l'un des camarades d'escadrille d'André va les interrompre : Il a tellement bu de vin local et il est si saoul qu'il faut le ramener au cantonnement, chantant à tue-tête puis se mettant à sangloter.

Deux jours plus tard, il "découvre le charme de Brescia, toute pavoisée de drapeaux Italiens et Français. Beaucoup d'animation et même de la gaîté, les Italiens n'ont pas l'air de prendre les choses au tragique".

Cette phrase est la première qui puisse laisser transparaître à ma grand-mère que ce transfert en Italie est une mesure pour renforcer le front de notre allié après un important revers.

Mais André repart aussitôt dans sa vision artistique : 
"Ce qui me plait dans les constructions Italiennes, même dans les plus ordinaires, c'est de donner un but agréable à la vie. 
En ville, et même dans les villages, si une porte s'ouvre, on aperçoit de chaque côté de l'allée des arbustes ou des fresques, des arcades, un petit jardin, et juste dans l'axe, au fond, une fontaine décorative ou une peinture.  
Il y a de grands murs nus où sont peints de mirifiques palais, généralement d'une belle tonalité et dont la perspective est dessinée de façon à être vue de la rue."


Le 27 Novembre, l'escadrille apprend qu'elle repart bientôt, probablement pour Vérone. La vie redevient plus militaire, avec appels des hommes soir et matin. Impossible de sortir sans autorisation.

Le voyage commence le 6 Décembre, au lever du jour. 

Leur trajet longe le Lac de Garde qui enthousiasme André :
"Une grande étendue d'eau variant du bleu foncé au vert émeraude, toute mouchetée de petites larmes d'argent, comme la mer, et tout autour, de belles, d'immenses montagnes violettes avec des cimes de neiges. Au premier plan, des cyprès en forme de quenouilles. Que de tableaux à faire ici !"

Ils arrivent à Vérone, sur le terrain d'aviation dont les pilotes commencent une analyse méthodique des conditions d'atterrissage. 

Il faut bien sûr qu'ils reprennent l'entraînement avant de pouvoir se frotter de nouveau à l'ennemi, d'autant plus qu'ils ont changé de type d'avion.

Mais André et un de ses bons camarades partent visiter la ville :
"C'est une merveille. Une ville entière du moyen-âge, où tout a été conservé, maisons, places, églises, citadelles."

Ils déambulent dans une rue étroite où grouille une foule nombreuse et sur laquelle s'ouvrent quantité de magasins.
"A droite et à gauche, s'ouvrent des rues plus étroites, tortueuses, pittoresques à l'excès, et où se trouvent toujours de jolis détails, pierres sculptées, peintures, balcons et qui, contrairement à nos ruelles sombres, sont inondées de lumière. [...]

"La rue aboutit à une place qui évoque les plus magnifiques décors de rêve, en entassement, j'allais dire un désordre de palais, d'églises, de campaniles monumentaux ; des maisons à loggia, des arcades à lourds piliers, des façades sculptées, des façades peintes, des façades recouvertes de fresques, et non pas des fresques quelconques, mais de délicats primitifs, ou des enchevêtrements de torses puissant et nus du XVIème siècle et sur le milieu de la place des colonnes supportant, les unes des saints, et l'une d'elles, un lion ailé rappelant celui de St. Marc."

Ses camarades sont moins heureux que lui, parce que les cafés sont moins beaux et qu'ils aimeraient plus d'alignements, donc moins de diversité, pour toutes ces constructions.

Son capitaine lui demande de réaliser l'insigne de l'escadrille.

Le 11 Décembre, l'escadrille 22 arrive à Castelgomberto près de Vicence, au milieu des montagnes.

Dès le lendemain, André est frappé par les femmes qui vont chercher l'eau du puits au moyen de deux récipients bien propres en cuivre rouge et tenus sur leurs épaules par un bâton recourbé.





Collection personnelle de l'auteur
une jolie porteuse d'eau au pays du cuivre rouge


André, et ce fait est rarissime chez lui, râle sur la grossièreté de certains de ses compatriotes qui se comportent stupidement comme en pays conquis. 

Il en est profondément attristé parce qu'il aime déjà beaucoup ce pays accueillant et tous ses habitants.

Je pense que ces comportements, pour imbéciles qu'ils soient, traduisent surtout, après deux mois de vie presque normale, le retour à la proximité du front, l'appréhension de la reprise des combats et des horreurs qui l'accompagnent inévitablement.

Pour André aussi, les affaires militaires reprennent. 

Il passe la journée entière à faire "de nombreux calques pour déblayer les reconnaissances à faire de celles déjà faites par les escadrilles qui sont ici."



Quand il va à Vicence pour la première fois, le 7 Janvier 1918, c'est sous de fortes chutes de neige. 
Dans l'architecture du lieu, il reconnaît un style du XVème siècle Vénitien.




A pied d'oeuvre


Le 26 Janvier, le Commandant de son unité demande à voir sa carte des tranchées. il déclare que c'est un remarquable travail, bien supérieur aux canevas de tir auxquels il pourrait servir de modèle.

Le même jour, un avion de reconnaissance du même secteur - mais pas de la même escadrille - prend feu en vol et s'écrase sur le terrain, causant la mort du pilote et de l'observateur.

A cette occasion, je rappelle à tout hasard, que les aviateurs Français de la Grande Guerre ne disposaient jamais de parachute, à cause de l'excès de poids que cela représentait, et aussi parce que les compétences manquaient pour former les hommes à les employer comme à les préparer.

Les parachutes n'étaient utilisés que par les aérostiers, c'est à dire ceux qui observaient les positions ennemies à partir d'une "saucisse" gonflée à l'hydrogène et ancrée à 800 m du sol environ.



André est très secoué par cet accident : La guerre est de nouveau bien présente, maintenant. 

Le 21 Février, tout notre petit monde est prévenu que dans les 10 jours, l'escadrille sera déplacée à Castello di Godego, près de Castelfranco. 

Ils vont s'occuper du secteur de la Piave, qui constitue le front principal contre l'Empire Austro-Hongrois.


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