jeudi 27 décembre 2012

Eléments de tactiques aériennes en 1940 (Révisé 23 / 06 / 2022 ***)

Pour aider à comprendre les problèmes rencontrés par l'aviation Française de Septembre 1939 au 24 Juin 1940, il faut se pencher sur deux données liées : Les structures géométriques des formations de combat (du bombardement comme de la chasse et aussi bien du côté Allemand que Français) et les capacités de défense des formations de bombardement contre la chasse.


Les formation de bombardement


Ces formations ont joué un rôle important. 

Avant toute chose, elles tenaient compte des contraintes que devait gérer toute formation de bombardement de l'époque.

La première contrainte était de rendre le bombardement facile

Ainsi, superposer des avions sur un plan vertical aurait été nuisible puisque les bombes lancées par les étages supérieurs auraient risqué de toucher les avions situés juste en dessous (cela s'est d'ailleurs vu dans les structures Américaines bombardant l'Allemagne).

La seconde contrainte était de faciliter la défense contre la chasse ennemie dont le travail était justement de détruire les bombardiers attaquants.

Cependant, pour un chasseur, l'attaque de bombardiers n'avait pas la même probabilité de réussite si elle était menée par l'avant, l'arrière, ou par les côtés.
  • Une attaque frontale était certes mortelle pour le pilote du bombardier et son officier de bombardement, mais elle l'était aussi pour le pilote attaquant pour deux raisons : 
    • La cible apparente (le fuselage du bombardier) était non seulement petite, donc difficile à ajuster, mais, en plus, elle se rapprochait très rapidement, ce qui, en ouvrant le feu à 500 m de distance, interdisait de peaufiner la visée (moins de 2 secondes pour tirer puis éviter la collision !) ;
    • En général, le bombardier n'était pas totalement désarmé vers l'avant. Les balles de 7.5 mm, bien que très légères (moins de 10 gr), étaient lancées à 800 m/s par un avion volant à 110 m/s (total 910 m/s) et rencontraient un chasseur volant à 150 m/s, ce qui induisait un impact à plus de 1050 m/s. Tout impact étant plus dramatique pour le chasseur parce que la structure de sa cellule est toujours plus légère que celle d'un bombardier. (Rappel : la puissance de l'impact d'un projectile est égal à sa masse multipliée par le carré de la vitesse du projectile en mètres par seconde).
  • Une attaque par l'arrière, par contre, favorisait la visée du chasseur qui n'avait aucune correction de défilement à faire. 
    • Le pilote de chasse avait beaucoup plus de temps pour viser. 
    • Si la différence de vitesse entre le bombardier et le chasseur était importante en faveur de ce dernier - disons au moins de l'ordre de 30 m/s (110 km/h) - le mitrailleur attaqué avait du mal à bénéficier de plus de 10 secondes pour ajuster son adversaire. 
    • Bien évidemment, le chasseur devait tirer de plus près pour compenser le fait que sa proie tendait à le fuir.
    • Ses projectiles - toujours lancés à 800 m/s - ne touchaient le bombardier, au mieux, qu'a 720 m/s (vitesse de la balle en sortie du canon - perte de vitesse au bout de 200 m de vitesse = 690 m/s + 30 m/s de différence de vitesse entre le chasseur et sa proie). 
    • Et il en allait de même pour les balles du mitrailleur défendant le secteur arrière du bombardier, du coup l'énergie de ses coups était environ 50 % plus faible.
  • Une attaque latérale exigeait de viser la trajectoire future du bombardier, qui possédait un nombre important de degrés de liberté : Il pouvait accélérer, ralentir, monter, descendre ou rester horizontal, s'éloigner ou se rapprocher, voire combiner le tout. Cela demandait un énorme entraînement aux pilotes de chasse. Germain Coutaud racontait dans Icare sa satisfaction lorsque ses pilotes, après entraînement, pouvaient mettre de 2 à 5% de leurs coups au but à une distance inférieure à 300 m...

Disposition Allemande des bombardiers attaquant en vol horizontal


La première à voir est celle de l'ennemi, les bombardiers de la Luftwaffe. 

Cette disposition était plutôt bien conçue.





Photo prise le 21 Juin 1940 au dessus de la France, depuis l'avion de tête d'une triplette  de Do17 et,
à l'évidence, depuis une altitude modeste (entre 1000' et 1500' à vue de nez) - Manifestement,
il n'y a pas de DCA Française à craindre, on est donc dans une zone contrôlée par les Allemands





Document original de l'auteur - Formation Allemande de bombardement en vol horizontal vue du dessus : 4 unités élémentaires de 3 bombardiers. En gris pâle : les avions les plus bas



Cette formation avait deux objectifs :
  1. Couvrir une zone assez large (plusieurs centaines de mètres) pour que le bombardement soit efficace ;------------------------------------------------------------------------------------------
  2. Permettre à de nombreux avions de croiser leurs feux, en ouvrant un champ de tir dépourvu d'obstacles aux mitrailleurs arrières.
L'avantage de ce système modulaire était, entre autres, de permettre la constitution de grandes formations.


Disposition Française des bombardiers


L'Etat Major Français de l'Air de 1940 ne semblait pas priser particulièrement l'emploi de grandes formations de bombardement.

Cela venait, sans aucun doute, de la trop grande réussite des Bréguet XIV pendant la dernière année de guerre en 1918. 

Ces avions, qui portaient jusqu'à 300 kg de bombes, les lançaient depuis une faible hauteur (quelques centaines de mètres au plus) et démontraient une efficacité redoutable.

Vingt années plus tard, les mêmes hommes, devenus généraux, disposaient d'avions volant 3 fois plus vite en portant de 1300 à 1600 kg de bombes.


Ils ne voyaient donc aucune nécessité d'employer beaucoup plus d'avions. 

Ils avaient une anticipation arithmétique des résultats susceptibles d'être obtenus et n'imaginaient en aucune manière l'importance stratégique des pertes en hommes pas plus que leurs causes possibles. 

Il faut dire que leurs chefs n'avaient pas été de bons professeurs dans ce domaine (et, pour être juste, Göring, quand il accusait ses pilotes de chasse de lâcheté, partageait les mêmes bévues).

Nos grands chefs du Bombardement paraissent avoir été totalement inconscients des progrès de la DCA et de la Chasse dans le monde. 

La préparation du bombardement de Bakou, par l'Etat-Major Français, avait montré la généralisation de cette sorte de naïveté.



Le schéma de l'attaque sur Sedan, visible sur ce remarquable site en hommage à l'héroïque commandant Laubier (qui disparut dans cette mission), ressemble à celui que je produis ici, mais l'unité de base pouvait passer de 3 à 5 avions, voire même un peu plus. 

On en restait cependant à une distribution de type fleuve, donc étroite.


Cela signifie que l'on ne prenait pas en compte la dispersion latérale des bombes, puisqu'en bombardant à basse altitude, on imaginait qu'elle serait faible.





Document original de l'auteur - formation Française de bombardement


On voit au premier coup d’œil que les avions de tête ne pouvaient pas tirer sur les chasseurs Allemands qui attaquaient les avions situés en queue de peloton. 

De même, les avions qui constituaient la bordure gauche du dispositif avaient une quasi interdiction de tirer sur les chasseurs Allemands qui attaquaient leurs collègues situés sur la bordure droite, et vice versa.


Les formations de chasse pour la recherche de l'ennemi


Les formations de Chasse pouvaient disposer, ou non, d'un système d'alerte électromagnétique (radar). 

Mais, au début de la guerre, aucun pilote de chasse au monde n'était entraîné à cela et les centres de guidage étaient eux-mêmes totalement incompétents.

Cela a amené les Britannique à la désastreuse bataille dite "de Barking Creek", le 6 Septembre 1939, lorsqu'un groupe de Spitfire - commandé par le futur célèbre as Sailor Malan - attaqua un groupe de Hurricane annoncé par le contrôle au sol - particulièrement incompétent en ce temps là - comme avions non-identifiés

Le résultat fut tragique, avec 2 Hurricane abattus dont l'un des 2 pilotes fut tué (premier mort Britannique de la 2ème Guerre Mondiale).

Adolphe Galland a raconté dans ses mémoires de guerre une histoire comparable côté Allemand qui s'était mieux terminée.


J'ai déjà traité des problèmes de l'alerte aérienne

Mais celle-ci ne résolvait qu'une partie du problème. 

La recherche concrète des avions ennemis par des avions effectuant leur travail normal de chasse en était une autre tout aussi importante : Il fallait voir l'ennemi dans le même temps qu'il fallait, autant que possible, éviter d'être vu par lui. 

Ceci est toujours vrai de nos jours.

La formation de recherche de l'ennemi devait également permettre d'engager le combat dans la meilleure position possible. 


Formation de chasse à 2 avions


Cette formation de base s'est installée plusieurs années après la fin de la Grande Guerre. 

Au début, elle a concerné peu de pays bien qu'elle soit la plus naturelle : Un chasseur expérimenté mène l'attaque et son ailier couvre ses arrières.




Document original de l'auteur - patrouille à 2 avions attaquant un adversaire rencontré par hasard.
Les rayons de virage (minimaux) des avions bleus sont identiques ; le leader bleu ne peut pas virer suffisamment serré pour être bien placé, par contre, son ailier est idéalement placé et va descendre l'ennemi



Nous savons que cette formation était standard en Finlande vers 1930 ainsi que dans l'escadre de François d'Astier de la Vigerie en 1933 (voir ce post).

Elle fut imposée à la Jagdwaffe notamment par Werner Mölders, à son retour d'Espagne (sous la dénomination de Rotte). 

En ce qui me concerne, j'aurais tendance à imaginer que la jeune Luftwaffe de 1933 avait envoyé des pilotes un peu partout en Europe, que ceux d'entre eux qui sont allés en Finlande avaient récupéré le cœur de doctrine de ce pays - inquiet de la proximité menaçante de l'URSS autant que de la disproportion entre les deux pays - et l'avaient fait adopter.

Elle exista en France sous le terme de patrouille légère, ce qui indique qu'elle n'était pas standard. 


Unité élémentaire de chasse à 3 avions


C'était la formation standard de la plupart des aviations en 1939, y compris en Allemagne (d'après ce que l'on croit savoir en tout cas).




Document original de l'auteur - Patrouille à 3 avions attaquant un adversaire rencontré par hasard.
Les rayons de virage des avions bleus sont identiques. Le leader bleu comme son ailier de gauche ne peuvent pas virer suffisamment serré pour être bien placé, par contre, l'ailier droit peut descendre l'avion ennemi mais, à l'issu de la manœuvre, les 2 équipiers ont inversé leur position



Les Allemands abandonnèrent cette formation ternaire vers l'automne 1939, au prix de nombreuses luttes difficiles pour venir à bout de réticences persistantes. L'instigateur de cette réforme fut le très grand as Werner Mölders.

Les Français, qui la considéraient idéale pour les transferts à grande distance, ne voyaient pas la nécessité d'en changer.

Par contre, la distance latérale entre avions pouvait atteindre de 300 à 500 m, ce qui réduisait la visibilité des dispositifs et augmentait la capacité de découverte de l'ennemi.


Attaque Française d'une formation Allemande


Si on regarde les conséquences tactiques de la formation Allemande de bombardiers, on voit qu'elle multipliait bien les possibilités de la défense.





Document original de l'auteur - Attaque dite "en noria" type GC 1/I du capitaine Coutaud -
Chaque ligne terminée par une flèche rouge matérialise le tir d'un mitrailleur Allemand



Si les avions Français attaquaient un même bombardier d'une formation Allemande, chacun à leur tour, cette disposition induisait de fort risques pour eux, puisque les mitrailleurs ennemis gardaient des cibles à hausses et azimuts constants (sauf si l'attaque était menée par surprise et avec un très grand écart de vitesse).

C'était la formation la plus souvent employée dans l'escadrille du capitaine Coutaud (GC 1/I) si l'on analyse sa contribution dans Icare (n°145 - La Chasse, III). 

A mon humble avis, cette formation réduisait l'efficacité des chasseurs Français, et le groupe 1/I (celui où opérait le capitaine Coutaud) n'a pas le palmarès qu'il eut pu obtenir en employant une formation un peu plus dispersée.





Document original de l'auteur - Attaque en parallèle
Chaque ligne terminée par une flèche rouge matérialise le tir d'un mitrailleur Allemand



Si, par contre, les Français attaquaient simultanément des avions différents (schéma ci-dessus), chaque mitrailleur ennemi devait impérativement se défendre et le nombre de tirs simultanés sur un même chasseur se réduisait, ce qui réduisait les risques pour les chasseurs Français.

Cependant, on constate que plusieurs mitrailleurs pouvaient encore toucher chaque chasseur, mais le risque était largement diminué.

Bien évidement, les résultats étaient plus favorables lorsque la vitesse des attaquants était supérieure.


Attaque d'une formation Française par la Jagdwaffe

Lorsque les Allemands attaquaient nos formations, ils profitaient évidement de nos faiblesses.


Document original de l'auteur - Chaque ligne terminée par une flèche rouge matérialise le tir d'un mitrailleur Français - On voit que les tirs des mitrailleurs les plus éloignés des chasseurs peuvent toucher les bombardiers amis.



Mais ces faiblesses étaient d'autant plus nuisibles que nos avions étaient envoyés en petit nombre et que les mitrailleurs des différents avions ne coordonnaient pas entre eux leurs tirs par radio.


Les quelques photos ou vidéos que j'ai vues sur les bombardiers Britanniques ne semblent pas indiquer l'existence d'une doctrine stable, puisque les avions y apparaissent en vol de canard ou en file indienne, etc, et toujours par petit nombre.

Les Alliés ont donc favorisé leurs propres pertes.

Ce fait, fortement renforcé par des attaques conduites en dessous du plafond de la Flak de petit calibre et par l'absence d'escorte de chasse, explique des bilans proche de 50% de pertes (voire pire) pour certaines missions.








lundi 17 décembre 2012

LE COMPRESSEUR PLANIOL-SZYDLOWSKI S39 H-3 (mis à jour le 13 Décembre 2018)



Ce nouveau post a été rédigé et illustré par Alain Breton



Le compresseur S39-H3 équipait le Dewoitine 520 et explique son bon rendement.

Il permet de faire justice des accusations récurrentes sur la soit-disant faiblesse technologique Française dans le domaine des moteurs.



  Compresseur Planiol-Szydlowski S39-H3 sur Hispano-Suiza 12Y45, 
présentation sciée au musée de l'Air et de l'Espace (cliché Alain Breton) - 
On remarque à gauche la capsule anéroïde de contrôle altimétrique

Le compresseur Planiol-Szydlowski S39-H3 résolvait avec élégance deux problèmes fondamentaux des compresseurs à entraînement mécanique des moteurs aéronautiques : le rendement et la régulation sous l'altitude de rétablissement.

Si le premier terme est aisément compréhensible - plus de pression restituée pour moins d'énergie dépensée -, le second mérite une explication. 

Les compresseurs de moteurs d'avions sont dans leur grande majorité constitués d'un rotor centrifuge qui, pour un régime donné,  multiplie par un coefficient fixe la pression d'entrée. 

Ce rotor est donc calculé pour rétablir, à une altitude déterminée, la pression atmosphérique normale. 

Au dessus de cette altitude, la baisse de la pression ambiante fait que la pression d'admission chute inexorablement - et la puissance aussi.

Mais en dessous de cette "altitude de rétablissement", phénomène inverse : la pression d'admission dépasse la pression normale, ce que ne sauraient tolérer tous les moteurs. 

La situation la plus cruciale se situe au décollage pleins gaz, où, avec un coefficient multiplicateur de 1,6 ou 1,8, on envoie dans le moteur une pression qui peut le détruire. 

Il faut donc trouver le moyen de réduire ce multiplicateur, ce que les motoristes aéronautiques prirent l'habitude de faire au moyen d'un volet étranglant l'arrivée au compresseur, et dont le contrôle fut automatisé via une capsule barométrique asservissant son mouvement. 

Mais le principe même de cet étranglement est absurde : on freine tout en accélérant, ce qui induit bien entendu un bilan énergétique catastrophique, et condamne pour les basses et moyennes altitudes les "gros" compresseurs dont on a besoin plus haut - d'autant que, plus le coefficient multiplicateur du compresseur est important, plus la température de l'air en sortie est grande, ce qui augmente les risques de détonation.

Comme le coefficient multiplicateur du compresseur est fonction de son régime, on peut imaginer de l'entraîner à faible vitesse à basse altitude, et bien plus vite au dessus - et c'est ainsi que vinrent au jour les compresseurs à deux vitesses, dont les problèmes se situent au niveau de l'entraînement, qui peut être vu comme une très complexe boîte de vitesses avec double embrayage, pignons élastiques pour amortir les chocs, etc.

On sait que les Allemands remplacèrent cette boite de vitesse par un coupleur hydraulique dont le glissement était contrôlable, ce qui valait théoriquement une infinité de rapports... mais ne simplifiait en rien la construction.

André Planiol et Josef Szydlowski ont exploré une autre voie, la création d'un compresseur à coefficient multiplicateur variable...

L'idée de ce compresseur naquit lorsque les deux ingénieurs travaillaient sur un moteur deux temps à 9 cylindres à balayage en équi-courant, qui nécessitait un compresseur puissant pour fonctionner - tout comme le diesel 2 temps Jumo 205 fabriqué par Junkers, chez qui Szydlowski avait travaillé au début des années 30. Basé sur le Salmson 18CM, le moteur du tandem fut un échec, mais le compresseur resta !

Le principe utilisé est simple : le rotor centrifuge est précédé de trois rouets d'entrée de pas croissant. Un système d'aubes directrices en amont fait que le flux d'entrée tourne en spirale au moment où il rencontre le premier rouet. 

Ces aubes sont mobiles. 




Ep : Entrée d'air principale - Es : Entrée secondaire
R1, R2, R3 : Roues hélicoïdales - P : Palettes du rotor



Pour un régime donné, si l'on fait se resserrer plus ou moins, voire renverser, le tourbillon d'entrée en jouant sur l'orientation des aubes directrices, le rouet d'entrée "verra" ce flux d'entrée sous un angle d'attaque négatif, nul ou positif - et l'accélération imposée par cet étage d'entrée sera de même négative, nulle ou positive.

Tout le principe est là, et dans leur dépôt de brevet, les inventeurs ont présenté les trois hypothèses sous la forme de décomposition vectorielle des vitesses sur la première roue, en insistant sur le fait que pour toute vitesse du flux entrant - et donc toutes conditions de vol, on pouvait orienter les aubages directeurs pour optimiser le rendement.

Le principe du tourbillon d'entrée de sens variable a été présenté comme suit dans l'ouvrage de R. Marchal :
  

D'après Raymond Marchal, "Moteurs d'Avions", Berger-Levrault 1948


A côté de ceci, on voit combien la "veine" a été soignée : la double entrée latérale s'évase largement et comporte des guides internes pour répartir uniformément l'air admis sur les aubages directeurs. 

Comme pour la turbine, les volutes de sortie qui transforment l'énergie cinétique en pression sont divisés en plusieurs sections ayant la forme d'un profil bi-convexe, ce qui permet par effet de fente, de minimiser les décollements générateurs de perturbations. 

Enfin, l'air compressé rejoint la chambre de tranquillisation tubulaire à sa périphérie, afin de perturber au minimum l'écoulement.


Vue en crevé et coupe du compresseur, notice technique Hispano-Suiza 12Y, 1940.
On note sur 
la coupe les trois rouets qui précèdent la turbine centrifuge



Toutes ces dispositions sont nettement différentes de celles en usage dans les années 30 pour de simple compresseurs centrifuges - et attestent non seulement de l'ingéniosité, mais aussi des longues et patientes recherches qu'ont du mener les concepteurs.

Mais au final,  est-ce que cela marche ? 

Le compresseur, dans sa version expérimentale de l'époque, fut testé à l'été 1938 sur un moteur Hispano-Suiza 12Ygrs au laboratoire de Chalais-Meudon.

Les essais démontrèrent pour commencer que le compresseur d'origine Hispano (modèle qui équipait toute la gamme) avait un coefficient multiplicateur de 1,8 et une efficacité de 60 %, pendant que le S39-H3 portait ce coefficient à 2,00 avec une efficacité d'un peu plus de 76 %. 

Tout aussi remarquable était le fait que cette efficacité restait pratiquement fixe sur une très large gamme de vitesses du flux en sortie - donc de coefficients multiplicateurs, alors que le compresseur Hispano, par exemple, voyait son efficacité chuter de 10% lorsque la vitesse de sortie passait de 230 à 300 m/s.

Ainsi au point de vue thermodynamique, le compresseur Planiol-Szydlowski remplissait parfaitement son cahier des charges : haute efficacité sur une large plage de coefficients multiplicateurs.






Les essais au banc allaient tout à fait confirmer cette supériorité. Voici le diagramme publié à la suite des essais.


D'après Albert Métral, "Le compresseur centrifuge Szydlowski-Plagnol",  in l'Aéronautique, Décembre 1938



Les courbes en trait plein n'ont pas d'intérêt pratique (courbe théorique à puissance constante), par contre celles en trait pointillés sont surprenantes !  

La courbe A est celle du moteur d'origine, testé à 2 410 t/mn et à la pression constante de 885 mm Hg.  Au sol, le moteur donne 760 ch, puis grâce à la régulation automatique, la pression reste constante jusqu'à 3 600 m, où le moteur développe 875 ch. 

L'augmentation de puissance tient à trois facteurs : avec l'altitude, la température ambiante décroît et donc la charge est plus dense à pression égale, la contre-pression à l'échappement diminue aussi, enfin au fur et à mesure de la montée, le régulateur réouvre graduellement le volet d'étranglement du compresseur et son rendement augmente, réduisant la puissance nécessaire à l'entraînement et abaissant encore un peu la température d'admission.  

Au delà des 3 600 m, le volet de contrôle est ouvert en grand, le compresseur travaille toujours à fond et la puissance décroit en même temps que la pression atmosphérique...

Quand à la courbe B, c'est celle du moteur équipé du compresseur Planiol-Szydlowski, toujours à 2 410 t/mn et régulé à 885 mm Hg... A 0 m, il donne déjà 110 ch de plus ! Pourquoi ? Parce qu'il a un meilleur rendement, et donc qu'à pression égale, la charge est moins chaude, et ainsi plus dense et énergétique... Et, pour les mêmes raisons qu'avec le premier compresseur,  la puissance s'élève jusqu'à 930 ch à 4 500 m,  altitude où le moteur d'origine n'en donnait déjà plus que 750...

On peut aussi remarquer les trois points tracés près de l'altitude 0 m. : en poussant la pression d'admission à 920 mm Hg (surpression autorisée au décollage pour le 12 Ygrs), le compresseur S-P donne encore 100 ch de plus (890 ch contre 790), et on peut même faire ingurgiter au moteur une pression d'admission de 980 mm Hg, qui lui fait donner 940 ch, grâce à la température d'admission abaissée de 60° C dans ces conditions...

On le voit, l'efficacité du nouveau compresseur est indéniable.

Elle sera encore améliorée par la suite, et voici les courbes que donnaient les 12 Y 45 et 49, équipés d'une version "série" du compresseur - le S39-H3.



D'après Jean Cuny et Raymond Danel, "Le Dewoitine 520", Docavia n° 3 éd. Larivière

Les deux modèles ne différent que par le rapport d'entraînement du compresseur, qui est à 10,03 pour le premier et 11,46 pour le second. 

Régime supérieur entraîne charge un peu plus chaude, d'où perte d'une trentaine de chevaux de 0 à 4 200 m... 

Mais au delà, le coefficient de pression nécessairement plus grand reprend le dessus, et l'on gagne 1 300 m. en altitude de rétablissement, après laquelle on a jusqu'à 140 ch en plus...

Par où l'on voit que si l'aviation française n'était pas en 1939-1940 la meilleure du monde, ce n'était pas faute d'inventivité de la part de ses ingénieurs...

Alain   BRETON



dimanche 16 décembre 2012

Arsenal VB 10 : Sept ans trop tard ! (Modifié le 02 / 07 / 2023 ***)





Document personnel de l'auteur - Vision artistique du VB 10 publiée dans le journal L'Air (05-11-1947)
Un aspect plutôt impressionnant !




Le VB 10 était un chasseur bimoteur en cours de construction au début de la guerre. 

Cet authentique bimoteur ne ressemblait absolument pas aux autres tels qu'on les concevait à la fin des années 30 : Il pouvait vraiment passer pour un monomoteur de Chasse.




Arsenal VB 10 de série - photo récupérée sur le site Aviafrance où se trouve sa fiche technique - 
On voit ici l'alignement presque parfait - donc catastrophique - de tous les contributeurs du maître couple (radiateur, cockpit, voilure) !



Mis au point rapidement, il aurait vraiment pu être un très grand succès. Lorsqu'il fut construit en série, dix ans après, c'était évidemment bien trop tard.

C'est donc une histoire compliquée.

(Mes sources sont : Un article sur le VB 10 de A. Marchand et M. Bénichou, Fana de l'Aviation n° 246 de 1990, le Docavia 28 : les avions de combat Français, 1944 à 1960, volume 1, le Docavia 34 : les avions Latécoère)




Comment détruire une industrie vitale pour la Nation


Cet avion avait été pensé en 1936-37 pour "pallier le manque de puissance des moteurs Français".

Les lamentations sur le problème de la puissance des moteurs Français étaient (et sont toujours) une préoccupation récurrente des médias et des utilisateurs Français depuis les années qui ont suivi la fin de la Première Guerre Mondiale (et, bien sûr, c'est encore repris depuis 50 ans par la presse automobile... pour rouler à 130 km/h tout en augmentant toujours notre facture pétrolière).

Pourtant, avant et pendant toute la Grande Guerre, les seuls moteurs puissants et fiables étaient Français qui tenaient largement le haut du pavé.

Bien sûr, ces moteurs : Clerget, Delahaye, Gnome et Rhône, Hispano-Suiza, Lorraine, Peugeot, Renault, Salmson, etc, étaient produits par des bureaux d'études de très haut niveau qui appartenaient à des entreprises qui investissaient intelligemment.


Alors, pensez-vous,  pas de problèmes, puisque nous avions les meilleurs cartes en mains ?

Oui, sauf que nos politiques de cette période n'étaient plus les grandes âmes qui avaient réussi à tenir le pays contre vents et marées, mais juste des démagogues, à une ou deux exception près.

Après 4 années de guerre, la France était exsangue et les destructions menées systématiquement, lors de leur repli, par les armées Allemandes dans le Nord occupé, l'avaient ruinée.

Dans le même temps, les incessantes demandes de remboursement des prêts consentis par les USA n'arrangeaient en rien nos affaires.


Il fallait trouver de l'argent.

Naturellement, les politiciens - en cette lointaine époque des années 20 -  n'imaginaient pas une seconde réduire leurs dépenses, pas plus qu'ils ne cherchaient à développer davantage la conquête des marchés internationaux.

La voie fiscale était bien plus tentante, et il y avait une victime expiatoire à taxer aussitôt : De très vilaines entreprises qui, ayant gagné de l'argent en sauvant la Patrie de sa fin préméditée par Guillaume II, furent aussitôt livrées à la vindicte publique par voie de presse sous la dénomination commode de "marchands de canons".

Il n'est pas impossible que ce type de slogan ait été suggéré à des pacifistes sincères (mais naïfs) par des agents Allemands de l'Abwehr infiltrés dès après le traité de Versailles.

Evidemment, ce genre de comportement ne peut se voir qu'en France.

A l'étranger, des entreprises comme Boeing, Fiat, Ford, General Motors, Lockheed, Mercedes, MIG, Mitsubishi, Porsche et Rolls-Royce ont été, ou sont encore, des "marchands de canons" !

Leurs pays en sont fiers et ils ont bien raison.

Car cela tient les emplois et l'indépendance nationale.


Un politicien ne peut pas créer un moteur puissant d'un simple claquement de doigt ! Dommage...


Certaines des entreprises Françaises victimes de cette politique en sont mortes, car ces taxations interdisaient les investissements productifs dont elles avaient un urgent besoin.

Les élus de l'époque, il y a 90 ans, n'avaient aucune idée de ce qu'était le temps de développement d'un moteur (plusieurs années étaient déjà nécessaires).


Une parfaite illustration fut donnée par la Coupe Schneider, LA course de vitesse pour hydravions.
Un immense prestige y étant attaché, les pays technologiquement les plus développés y participèrent (France, Italie, Grande-Bretagne et USA).

Si la France pouvait gagner lors du redémarrage, puisque ses avions détenaient tous les records mondiaux de vitesse, le manque de financement ne permit pas de s'y maintenir. Puis, le prestige en devenant chaque année plus évident, nous décidâmes - très tardivement - de participer à la compétition.

Détail significatif, entre temps, les moteurs de course étaient passés de 400 ou 500 Cv en 1924 à plus de 1400 Cv en 1928.

A cette dernière date, un chasseur de 500 Cv était un avion très puissant.

Donc un ministre passa commande de moteurs d'une puissance un peu supérieure à  ceux des derniers vainqueurs juste un an (voire moins) avant la course. Il en fit de même pour les avions auquel ce moteur était destiné.

Le moteur Hispano-Suiza 18 cylindres en W, dont la construction avait été lancée pour l'épreuve de 1929 ne fut, bien sûr, pas prêt à temps.

Nous recommençâmes exactement de la même façon pour 1931.

Les moteurs Renault et Lorraine Radium de 2 200 à 3 000 Cv, mis en chantier juste quelques mois avant, n'étaient évidemment pas du tout en situation de concourir.

De toute façon, aucun des avions qui leur étaient promis n'était au point, car personne n'avait eu l'idée de les mettre au point aérodynamiquement avant.

En 1931, l'Hispano 18 W donnait environ 1 600 Cv, deux ans trop tard, une puissance insuffisante pour gagner mais permettant un classement non ridicule (voire même, obligeant les Britanniques à forcer un peu sur leurs mécaniques, ce qui aurait pu, avec beaucoup de chance, les amener à casser).

Le meilleur des avions restants, le Bernard HV 120, probablement construit au rabais, volant dans les conditions de la course à une vitesse de l'ordre de 530 km/h - vitesse effarante à l'époque - à moins de 100 m d'altitude, percuta la surface de l'eau après la perte d'un élément de structure en tuant son pilote Georges Bougault.

Tout cela montrait bien le temps nécessaire à la mise au point d'un moteur de haute puissance !


Les moteurs ne poussent pas assez, j'en accouple deux !


Rolls-Royce avait sorti en 1935-36 (à grand frais et après avoir connu moult problèmes de fiabilité qui ne furent réglés que peu avant la guerre) son Merlin de 1 030 Cv (sa plus grande réussite).

Dans le même temps, le motoriste Français Hispano-Suiza, occupé par ses moteurs en étoile, avait un peu négligé ses moteurs 12Y dont la puissance qui ne dépassait donc pas encore 900 Cv .

Pour sortir radicalement du problème, l'ingénieur qui dirigeait l'Arsenal de l'Aéronautique, Michel Vernisse avait conçu une transmission à joints homocinétiques (dérivés sophistiqués du fameux cardan) pour coupler 2 moteurs en tandem.

Il est parfaitement évident qu'il avait été nettement inspiré par le montage du moteur Fiat AS 6 de 3 000 Cv qui avait permis à l'hydravion Italien Macchi-Castoldi MC 72 de porter le record de vitesse mondial à 709 km/h.



Moteur Fiat AS 6 de 3100 Cv


La solution Italienne était plus légère mais offrait moins de souplesse dans la distribution des masses de l'avion.

Au départ, Vernisse voulait motoriser un quadrimoteur dont la traînée aurait été alors réduite à celle d'un bimoteur.



Les ébauches


L'ingénieur Jean Galtier, ancien de la Société des Avions Bernard, était prêt à tenter la réalisation d'un monoplace de chasse bimoteur à un seul fuselage en utilisant cette formule.

L'idée était révolutionnaire, puisque, je l'ai dit précédemment, les bimoteurs classiques présentaient toujours 3 fuselages (celui de l'équipage, plus ceux des fuseaux moteurs).

Passer à un seul fuselage, c'était avoir une traînée équivalente à celle d'un monomoteur monoplace de chasse avec une puissance double, ce qui devait aboutir, théoriquement, à augmenter la vitesse possible de 20 à 26 % suivant la qualité de la réalisation.

Donc, modifier de cette manière un avion déjà apte à 500 km/h avec un seul moteur devait lui assurer une vitesse de plus de 610 km/h en lui accouplant un moteur identique.


Galtier avait travaillé avec Louis Béchereau (créateur des SPAD de Guynemer et de Fonck) à la conception d'un très joli monoplace en bois, le Bernard 20 de chasse qui passait, sans compresseur, les 320 km/h à la fin des années 20 avec 400 Cv seulement.

Depuis, il avait malheureusement gardé la religion du bois, qu'il gardera jusqu'en 1948.

{Sources : Les Ailes, du 6 octobre 1938}

En Janvier 1937, il proposa donc à l'ingénieur-général Vernisse de créer 2 avions en bois :

  • Le  bimoteur de chasse VG 10 qui aurait utilisé 2 moteurs Hispano 12 Y de 860 Cv.
  • Le monomoteur VG 30 (Vernisse-Galtier 30) qui servirait de maquette aérodynamique au premier.

Le bimoteur aurait donné un chasseur de 1720 Cv et une surface alaire de 26 m², pour une masse prévue de 3400 kg. La vitesse estimée était de 650 km/h.

D'après ce que l'on peut en lire, la structure choisie était l'exacte préfiguration du VB 10-01 et plaçait le pilote entre les 2 moteurs.



Le VG 30, quant à lui, fut construit et atteignit 485 km/h sans avoir tiré entièrement partie de sa formule, mais il donna naissance au VG 33 qui fut une réussite (si le VG 30 avait prit la forme exacte de ce dernier, il aurait nettement passé les 500 km/h).

Le VG 10, lui, ne fut pas construit pour je ne sais quelle raison, mais c'est bien dommage car il lui aurait été possible d'atteindre entre 620 et 650 km/h.


On avait sans doute voulu un avion plus puissant, plus armé, donc plus lourd, en suivant toujours la même illusion du Géant Invincible que j'ai dénoncé dans le cas du SE 100.

Puis on abandonna la structure en bois au profit d'une structure en métal.

L'ingénieur Badie (le B du VB 10) justifia ce choix en affirmant que  le bois eut été impropre à tenir les efforts subis par un avion de ce genre.

Pour ceux qui croiraient ce genre de billevesées, je les renvoie aux pages Wikipedia concernant le bimoteur De Havilland Mosquito, ils seront édifiés. 

Le bois peut beaucoup, à la seule condition que la qualité des colles soit irréprochable. Je rappelle aussi que le Hughes H-4 Hercules (ou Spruce Goose) de 180 tonnes au décollage en 1947 était en bois et qu'il était mû par 8 moteurs de 4 000 Cv ! 

Des efforts légèrement supérieurs à ceux du VB 10, Mr Badie !


Il fallait, dans la pratique du "pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliqué", employer le nouveau prototype de moteur Hispano-Suiza 12 Z, qui commençait tout juste à tourner au banc, ce qui allait avoir des conséquences très négatives (on retrouve ici la même idée stupide qui avait déjà causé les énormes problèmes des bombardiers B4).

Personne ne semblait comprendre qu'il fallait avant tout expérimenter avec des moteurs parfaitement connus pour voir tous les pièges associés à l'accouplement des moteurs (à toutes fins utiles, je rappelle qu'en cette lointaine époque les ordinateurs n'existaient pas et que le formidable logiciel Catia n'était même pas dans les limbes).

Au passage, Galtier fut laissé de côté pour décliner ses monomoteurs en bois. Peut-être était-ce le vrai but du passage au tout métal...



Le VB 10 réel


La réalisation du VB 10 fut lancée, semble-t-il, pendant l'année 1939, ralentie par nombre d'hésitations et autres questions métaphysiques.

Le rythme de travail ne devait pas non plus être affolant.

Une commande substantielle fut pourtant passée peu avant notre défaite.

Plusieurs dizaines d'heures d'essais au banc montrèrent que la transmission Vernisse se comportait sans problème.

Après la défaite, l'Arsenal passa de Villacoublay - zone occupée - à Villeurbanne - zone dite "libre" - mais le souci de l'ingénieur Vernisse fut de garder le maximum de personnes autour de lui pour éviter la dispersion du bureau d'étude puis, après Novembre 1942, la déportation en Allemagne (STO). 

Beaucoup d'études furent donc réalisées sans véritable but pratique.


Un banc d'essai pour les moteurs fut cependant réalisé par Latécoère à partir d'une cellule de Laté 299 - devenu Laté 299 A - dont les dimensions étaient comparables.

L'engin fut construit en 1942, suivant un plan différent de celui du VB 10, puisque pilote et mécanicien étaient situés en arrière du groupement des 2 moteurs. 

L'avion a fait quelques lignes droites et vola probablement un peu - suivant la lecture que l'on fait des propos de l'ingénieur Pichon - avant d'être mis en pylône !
Mais l'avion fut détruit dans un bombardement.

Les valeurs de vitesse attendues (avec des moteurs HS 12Y31) étaient de l'ordre de 470 km/h à 4 000 m avec également de vraiment bonnes performances ascensionnelles.

Il faut dire que la masse de ce démonstrateur ne dépassait pas 5 tonnes au décollage (ce qui souligne, au passage, la remarquable compétence de l'ingénieur Moine de chez Latécoère).


A la Libération, l'Arsenal reprit sa place normale mais la production industrielle était devenue comateuse, les Allemands avaient vidé systématiquement nos usines des machines-outils achetées à grand frais aux USA de 1938 à 1940 et nos Alliés avaient systématiquement bombardé toutes nos usines...

Donc les équipements n'arrivaient qu'au compte-goutte et ils étaient souvent défectueux.

Tous les bureaux d'études restés en friche devaient se remettre au travail et il leur fallu plusieurs années avant de réussir le premier avion de chasse digne de ce nom, le Dassault 450 Ouragan.


Toujours est-il que le VB 10-01 vola pour la première fois le 7 Juillet 1945, ce qui était - quand même - un petit miracle.




Document original de l'auteur - Architecture motrice du VB 10 - l'hélice avant est mue par
le moteur arrière via la transmission Vernisse (en bleu); le pilote est entre les 2 moteurs..
.


L'avion se révéla stable et il volait à 490 km/h au niveau de la mer, ce qui présageait d'environ 600 km/h en altitude. Comme les moteurs n'avaient pas atteint leur puissance maximale, on pensait pouvoir tabler sur environ 700 km/h lorsque l'avion serait opérationnel.

La réalité fut moins brillante.


Bien sûr, on avait voulu garantir au VB 10 "la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de concours" comme l'eut dit le regretté Michel Audiard : 4 canons de 20 mm + 6 mitrailleuses de 12.7 mm, rien que cela !

Ensuite, il fallait un accès à la mécanique très aisé. Donc, on avait ménagé de grandes trappes de visite qui, ne participant pas à la rigidité de la structure, imposaient des renforts, donc un alourdissement de l'avion.

Le revêtement faisait appel à des plaques de tôles rigidifiées par de la tôle ondulée fine : Je n'ai pas l'impression que le bilan de masses s'en soit bien porté.

L'avion de série pesait donc 6 200 kg à vide - une tonne de plus que le démonstrateur de Latécoère au décollage ! - et jusqu'à 8 000 kg au décollage (le poids d'un Amiot 354 !).

Personne ne donne la masse de la transmission Vernisse. Je doute qu'elle ait été légère.


Résultat de cette obésité, l'avion de série gagnait peu de vitesse sur le prototype, il était lourd en profondeur et aux ailerons, demandant au pilote la force d'un véritable haltérophile.

Il décrochait brutalement à 140 km/h tout réduit et à 115 km/h plein gaz (ce sont, malgré tout, des vitesses remarquablement faibles pour un avion de cette masse).

Une vitesse en piqué (in dive) de 883 km/h fut obtenue en altitude {732 km/h au Badin (IAS)}.

La vitesse ascensionnelle était très médiocre, de l'ordre de 10 m/s, soit celle du Morane 406 !


A 500 km/h au Badin, ce qui correspondait déjà à une forte vitesse, l'empennage souffrait de vibrations (flutter) qui auraient pu être évitées par une reprise complète de la conception des raccords Karman ou un déplacement vertical de l'empennage.

Ce qui est inquiétant, c'est que le produit phare de l'Arsenal, produit trois ans plus tard, le VG 90, connu deux accidents mortels pour cette même raison, qui entraînèrent la disparition de l'entreprise, dont le bureau d'étude se retrouva ensuite dans Nord-Aviation.

On découvrit aussi une direction trop efficace, potentiellement dangereuse en phase d'atterrissage.


D'autres problèmes également dangereux apparurent peu à peu pendant les essais : Les moteurs chauffaient et, surtout, ils interagissaient l'un sur l'autre, créant des phénomènes de battements extrêmement désagréables, liés probablement au couplage des fréquences d'admission d'air dans les compresseurs.

Pour réduire les battements, il eut probablement fallu récupérer l'air nécessaire au moteur arrière par une prise d'air située au bord d'attaque d'une des ailes en dehors du cercle balayé par les hélices.

Plusieurs dizaines d'exemplaires de VB 10 furent quand même construits mais ils n'entrèrent jamais en service après plusieurs accidents dont le dernier avait entraîné la mort d'un pilote d'essai.


Israël, qui débutait la constitution de son armée de l'air, se montra intéressé par le VB 10, mais en fut peut être dissuadé. 

Pourtant, l'avion aurait pu être mis au point.

A l'époque, Israël était en bon terme avec l'URSS et aurait probablement pu obtenir des moteurs Klimov PF 105 beaucoup moins lourds, bien au point et de performances comparables.

L'avion aurait été bien meilleur avec juste 2 canons de 20 mm et 2 mitrailleuses de 12.7 mm.


Tout chasseur est un compromis

Vouloir tout choisir en même temps conduit invariablement à l'échec.

En réalité, cet avion avait été vu bien trop grand par l'ingénieur Vernisse et ses camarades.

Ils voulaient la puissance de feu, l'autonomie, la maniabilité. Ils n'ont gardé que la puissance de feu.

Le VG 10 de 3 400 kg à vide était sûrement la meilleur solution réalisable à condition de conserver les Hispano 12X. 

Il fallait garder une surface alaire comparable à celle de l'Hanriot NC 600, soit 22 m².


Le bilan de masse a dû commencer à devenir ingérable lorsqu'il fut question de les remplacer par des 12Y, plus puissants et plus lourds de 100 kg environ, et qu'en plus on a probablement voulu un armement plus foudroyant.

Devenu VB 10, Vernisse et Badie avaient augmenté inconsidérément la surface alaire jusqu'à 35.5 m², valeur de 3 m² supérieure à celle du Potez 631 !

Le Bréguet 697 de 5 tonnes au décollage était porté par une voilure de 28 m² !

Cette immense voilure impliquait obligatoirement une traînée surnuméraire que rien n'imposait et aurait nécessité d'employer des servo-commandes qui devaient déjà exister chez René Leduc.



L'article de Marchand et Bénichou, dans le Fana en 1990, donne des informations très intéressantes.

Malheureusement, il ne replace pas le VB 10 dans le contexte pour lequel il avait été conçu : L'Armée de l'Air de 1940 - 1941.

Il montre que l'avion de 1948 n'était pas dans le coup, ce qui n'a rien d'étonnant. Mais qu'eut-il donné face aux avions Allemands de son époque réelle ?

Si on s'y replace, et une fois les problèmes de battements résolus, cet avion aurait certainement été bien plus approprié aux conditions de combats du moment. 

Il eut représenté une avancée comparable à celle du Dornier 335, mais 3 ans plus tôt.

Moins maniable que le Messerschmitt 109 F, il aurait eu un rayon d'action nettement supérieur et un armement plus puissant pour une vitesse comparable, voire un peu supérieure.

Il aurait donc pu jouer un rôle de projection à longue distance (qui fut l'apanage des Mosquito Britanniques).


Une utilisation intéressante du système moteur du VB 10 fut présentée au Salon de Bruxelles en 1939: Le quadrimoteur NC 110 de bombardement à long rayon d'action, qui ressemblait à un NC 150 affiné. 

Disposant d'une puissance double pour une traînée assez peu augmentée - avion plus allongé, fuseaux moteurs plus fins pour un maître couple peu augmenté - la vitesse de pointe aurait probablement dépassé les 700 km/h (le calcul donne presque 756 km/h, mais le rendement des hélices n'aurait sûrement pas suivi).

La vitesse croisière d'un tel engin (de l'ordre de 600 km/h) aurait rendu son interception bien difficile, même à la fin de la guerre !