lundi 16 septembre 2013

Morane 406, résultat de la mauvaise analyse de l'échec du Morane 325 (révisé le 25 / 12 / 2023 ***)

[Les sources : Essentiellement dans L'Aviation de Chasse Française 1918-1940 (Cuny et Danel, Docavia n° 2) et la bible le Morane-Saulnier MS 406, de Lela presse]


Lorsque le programme des chasseurs de 1934 est dévoilé, la société Morane-Saulnier pouvait s'appuyer sur deux modèle de chasseurs qu'elle avait conçus précédemment : Le MS 225 et le MS 325

L'ingénieur en chef, Mr. Gauthier, ne s'était pratiquement jamais attaqué aux problèmes des avions à haute performance (type record de vitesse, course, etc). 

En conséquence, son bureau d'étude devait tout inventer à chaque fois sur le plan aérodynamique.



La "lignée" du MS 225


Le plus ancien des deux était le Morane 225, qui dérivait d'avions conçus pour répondre au programme Jockey de 1928. 


C'était un descendant en ligne directe du Morane A1 de 1918 (lui-même descendant du Morane parasol de Roland Garros) dont la structure était une poutre métallique entoilée, résistante et facile à réparer. 


La généalogie de ce Morane 225 est intéressante :
  • Le MS 121 (moteur Hispano 12 J de 400 Cv en ligne et à refroidissement à liquide) volait à 257 km/h. Comme beaucoup d'avions de cette époque, il possédait un train étroit à essieu suspendu par des sandows. Par ailleurs, d'après l'illustration du Docavia n°2, son système de refroidissement à liquide employait des surfaces radiantes collées aux flancs de la partie médiane du fuselage. Ces dispositifs n'ont jamais eu les faveurs des militaires dans quelque pays que ce soit.
  • Le MS 221 était la variante du précédent avec un moteur radial Gnome et Rhône 9 Ag à refroidissement à air. Un peu plus puissant et plus léger, il volait aussi vite malgré la traînée supplémentaire du moteur en étoile.
  • Le MS 222 (moteur GR 9 As de 480 Cv) volait 10 km/h plus vite (267 km/h à 3 650 m d'altitude), à cause de sa suralimentation. Une version 222 bis plus rapide vola ensuite avec un anneau Townend très disgracieux et surdimensionné. Il passait les 300 km/h en altitude.

  • Le MS 223, équipé du même moteur que le 222, dépourvu de carénage moteur mais avec, enfin, un train d'atterrissage large à amortisseur et sans essieu - bien plus sûr - volait à 280 km/h.


MS 223  - une visibilité perfectible



  • Le MS 224, à moteur GR de 480 Cv et une aile affinée, atteignait 303 km/h en altitude.

Enfin, le MS 225 vola avec la même voilure affinée, un capot moteur correctement dessiné et un fuselage à dos de chameau pour améliorer les vues du pilote au sol.


C'était un petit avion de 7.25 m de long pesant, lors de ses essais, 1117 kg à vide et 1580 kg au décollage, soit la masse du PZL 11 de 1934.

Sa voilure avait une envergure de 10.56 m et une surface de 17.2 m², ce qui lui conférait un allongement de 6.48 et une charge alaire de 91.9 kg/m².

Aux essais, les vitesses furent (sources : Les Ailes, 18 Mai 1933) :
  • 277 km/h au niveau de la mer
  • 292 km/h à 1 000 m 
  • 306 km/h à 2 000 m
  • 321 km/h à 3 000 m
  • 333 km/h à 4 000 m 
  • 328 km/h à 5 000 m
  • 320 km/h à 6 000 m 
  • 312 km/h à 7 000 m 
  • 302 km/h à 8 000 m
  • 291 km/h à 9 000 m
Les temps de montée en altitude furent :
  • 1 000 m en 1' 52"
  • 2 000 m      3' 47"      les derniers 1 000 m en 1' 55"
  • 3 000 m      5' 42"                                             1' 55"
  • 4 000 m      7' 47"                                             2' 05"
  • 5 000 m    10' 07"                                             2' 20"
  • 6 000 m    12' 48"                                             2' 41"
  • 7 000 m    16' 42"                                             3' 54"
  • 8 000 m    21' 37"                                             4' 55"
  • 9 000 m    29' 40"                                             7' 03"

Ces performances, bizarrement jugées honnêtes, plus le profil d'aile auto-stable de sa voilure, lui valurent d'être commandé en plusieurs dizaines d'exemplaires. 

Son aérodynamisme devait 30 km/h à un capot Nieuport que les concepteurs du Morane avaient accepté, 
(une fois adoubé et renommé par la NACA !).

Une petite partie des exemplaires commandés furent construits pour la Marine (j'en parle sur cet autre post) mais on les y priva de leur compresseur (d'où le désignation de MS 226), ce qui limita leur vitesse à moins de 280 km/h ! 





MS 225 - Il entra en service en 1933 - imaginez la visibilité au décollage !


Ce Morane 225 s'était révélé relativement rapide en altitude car il avait été le premier chasseur Français doté d'un compresseur. 

Par contre, cet avion montait très, très lentement (3 000 m en 6').

Par ailleurs, c'était un avion manœuvrant et facile à piloter, même s'il avait - à ce qui fut dit et écrit (Docavia #2) - une tendance désagréable au décrochage à l'atterrissage (cela peut tout à fait expliquer que cet avion ne fut pas employé sérieusement par notre Aéronavale).


Heureusement, son robuste train d'atterrissage encaissait bien et sa large voie, inusitée à l'époque, aidait bien les manœuvres au sol.
Cet avion enchantait les spécialistes de la voltige par l'homogénéité de ses commandes et son aptitude étonnante à voler sur la tranche (probablement liée à son fuselage haut et aux profonds carénages de ses jambes de train).

(Inutile, cependant, de raconter les capacités spéciales de la version employée dans les meetings : Ses gouvernes étaient redessinées.)



Comparé à d'autres avions de l'époque, il était très comparable au chasseur Polonais PZL 7 - qui figura comme il put en opération en 1939 - qui montait un peu plus vite à la même altitude avec une puissance identique mais une masse
 plus faible de près de 10 %.

Sa vitesse de point était équivalente à celle du Hawker Fury I (322 km/h), mais il était loin d'avoir les capacités ascensionnelles du chasseur Britannique.

Toutefois, son autonomie de 700 km lui permettait d'agir bien plus loin que les pauvres 435 km du Fury I.


Deux dérivés furent construits. 

Le premier, le MS 275, était équipé d'un moteur de 600 Cv qui le propulsait à 363 km/h à 5000 m. 

Mais il lui fallait quand même 6' 40" pour monter à 4000 m, soit 1' 30" secondes de plus qu'un Dewoitine 500 et 2 minutes de plus qu'un Spad 510.

Pour mémoire, ces deux derniers chasseurs, équipés du même moteur Hispano-Suiza 12 X, avaient une vitesse de pointe
 plus élevée d'une dizaine de kilomètres / heure. 
C'était sans espoir.

Une autre version fut le MS 227  à moteur 12 Xcrs. 

Cette variante, destinée à l'essai du moteur canon Hispano, ne dépassa pas les 350 km/h à cause de son radiateur de liquide de refroidissement, de vaste surface et disposé frontalement comme une sorte de mur, sans aucune analyse de réduction des traînées parasites.

En résumé, les chasseurs de cette lignée étaient honnêtes, sans plus. A ce titre, ils permirent la formation de nombreux excellents pilotes de chasse.

Mais ils étaient déjà totalement périmés et inutilisables pour la chasse pure dès leur entrée en service.




La "lignée" du MS 325


Un avion du concours de 1930-31

Le plus récent produit de la société était un des concurrent malheureux du Dewoitine 500.

C'était un monocoque entièrement métallique à revêtement travaillant comme la plupart de ses concurrents. 




Morane-Saulnier 325 - Cette excellente photographie (accès au site en cliquant sur le lien en début de ligne) permet de voir l'excellente conception de la coque métallique du fuselage (y compris la proue), le positionnement normal du radiateur (un peu trop marqué par le cubisme en vogue à ce moment) mais aussi les gigantesques mâts de renforcement des ailes...


Le fuselage sensu stricto était joliment dessiné, même si le butoir anti-capotage était nettement exagéré.

Le dessin en plan des ailes (d'une surface de près de 20 m²) était tout à fait satisfaisant tant que l'on se limite à ce qui est situé à l'aplomb ou l'extérieur des jambes du train d'atterrissage. 

Cependant, on voit bien sur la photo que les ailes étaient très épaisses, induisant ainsi une traînée non négligeable. 

De plus, elles s'inséraient un peu trop en avant, probablement pour limiter les effet moteurs au décollage (tendance à embarquer).

Par contre, pour ce qui était du raccordement de cette partie au fuselage, là, c'était l'horreur absolue !

Evidemment, Morane, pionnier du monoplan parasol depuis 1915, avait certainement eu des doutes - ou avait entendu beaucoup de critiques issues des partisans de la formule bi-plane - à propos de la solidité des monoplans à ailes basses en porte à faux, que les Services Techniques officiels, à l'orée de la Victoire de 1918 avaient décrétés fragiles, leur imposant des coefficients de résistance de 50% plus élevés que ceux demandés aux biplans. 

Donc le Morane 325 peut être considéré comme un parasol à l'envers. 

Pourquoi ?



Un règlement de concours totalement aberrant

Cette formule n'avait pas été choisie par hasard : Elle découlait directement de l'exigence de visibilité vers le bas des super grands décideurs du STAé.

Dans l'Histoire des Essais en Vol, Docavia n°3, Jacques Lecarme dénonce énergiquement - et à juste raison - ces décideurs qui avaient voulu que la visibilité du pilote soit parfaite dans toutes les directions, en particulier pour surveiller les coéquipiers.

Bien sûr, ceci partait d'un très bon sentiment. 

Le problème, c'est que comme le dit le proverbe, "l'Enfer est pavé de bons sentiments".

Le résultat, pour tous les prototypes, fut la création de magnifiques pièges aérodynamiques, sauf pour le Spad 510.


Par exemple, le Dewoitine 500, gagnant du concours, lui dut un rétrécissement de la corde de ses ailes juste à leur raccordement avec le fuselage.

Cela produisit un accroissement significatif de l'épaisseur relative des ailes à un endroit où, normalement, on installait un raccord Karman qui, entre autre, créait une zone d'épaisseur relative minimale.

Sur le D 500, cela se traduisit par une perte d'environ 20 km/h...

Chez d'autres constructeurs, on avait choisi l'aile dite Polonaise (celle du PZL de chasse). 

Les combats simulés entre prototypes différents manqua alors d'entraîner des collisions en vol.

[Notons que l'ineffable JSF - ou  F 35 - de Lockheed-Martin devrait (?) disposer d'un système de visualisation donnant au pilote l'illusion de voler sans avion. 

Cependant, même en 2014, la réussite de ce concept n'est toujours pas avérée.]


Toujours est-il que le Morane-Saulnier 325 dut à ce concept ses ridicules mats de voilure.

L'interaction entre ces deux mâts et l'empennage horizontal en vol à haute incidence entraîna sans aucun doute quantité de turbulences violentes (buffeting) qui eurent pour conséquence d'écourter les essais sans que les performances maximales aient été obtenues.

Si vous vous amusez à enlever ces abominations et à remplacer la partie centrale de l'aile par une aile plus banale, vous obtenez un avion assez proche du prototype Supermarine type 224, déjà nommé Spitfire, mais qui n'était que le prédécesseur du vrai Spitfire, celui que nous admirons encore. 



Conclusion

Le Morane-Saulnier 406 ne retint du MS 325 que la forme de sa dérive.

Un article de José Le Boucher sur le Salon de l'Aviation de 1934, parut dans La Science et La Vie #211 de Janvier 1935, donc en écho au programme des chasseur de Juillet 1934.

L'auteur y insiste lourdement sur l'importance des réparations faciles en temps de guerre et illustre sa thèse en prenant pour exemple le Hawker Fury qui permettait "à la Grande Bretagne d'avoir une aviation de chasse magnifique pour qui la question des rechanges se pose de façon mon aiguë que pour d'autres".

Cet article reflétait certainement l'opinion des chefs du STAé.

Ainsi, le bureau d'étude Morane-Saulnier retint la très lourde structure du MS 225, ou plus exactement du MS 227 expérimental, plus récent. 

Le radiateur frontal en fut éliminé, heureusement si l'on peut dire, quoique la conception de celui des Dornier 335 ou des Focke-Wulf 190 D à moteurs en ligne eut été bien plus efficace que celle qui fut finalement retenue chez Morane.

Le bureau d'étude Morane-Saulnier préféra tabler sur quelque chose de bien connu, donc de sûr (?).

D'après Raymond Saulnier, dans son hommage posthume à Paul-René Gauthier, concepteur du MS 406, rappelait que son ingénieur préféré disait aux ingénieurs et techniciens de son bureau d'étude : "Il ne faut pas viser la tangente à la polaire, là où sont accrochés les records, mais au contraire garder une marge pour conserver une bonne tenue quand le moteur faiblit ou quand l'orage gronde." 

Raymond Saulnier continuait ainsi : Il en était de même dans toutes les solutions choisies par ce maître et sa prévoyance tenait compte des imperfections de matières et de réalisation, d'usure et des coups durs venant des autres mécanismes en amont ou en aval du rouage qu'il étudiait.

Je ne me permettrais pas de critiquer ces paroles de sagesse dans la conception d'un avion, dès lors qu'il se serait agit d'un avion de tourisme, d'entraînement ou de transport.

Par contre, ces paroles, à elles-seules, auraient dû interdire le choix du Morane-Saulnier 406, parce qu'un chasseur doit être mis en œuvre par les pilotes les plus brillants de leur génération et que sa sécurité au combat impose qu'il dispose d'une forte marge de performances sur ses adversaires.

A l'inverse strict, chez Messerschmitt, on avait choisi l'innovation absolue pour disposer de l'avion le plus rapide possible : Cela paya largement et pendant longtemps.