dimanche 14 septembre 2014

Évaluations multiples du système anti-missile Dôme de Fer (Révisé le 11 / 04 / 2021)



J'ai déjà évoqué la problématique des systèmes anti-missiles. Il est temps d'en revoir les différentes implications.


Les résultats de l'Irone Dome 


La campagne militaire Protective Edge (8 Juillet - 26 Août 2014) qu'Israël a déclenchée contre Gaza en représailles des bombardements du Hamas a été l'occasion d'une importante série de communications Israéliennes sur les résultat du fameux système anti-missile Dôme de Fer.

Pendant les 50 jours de combats, le Hamas a tiré 4 600 missiles. Le Dôme de Fer est réputé en avoir abattu 735, soit, arithmétiquement parlant, 16 %.

Cependant, le commandement de Tsahal revendique un taux d'interception de 90%, parce que les 9 batteries de missiles Tamir ne tirent que sur les missiles qui vont tomber sur des zones peuplées. 

De ce qui précède, on peut déjà tirer l'idée que 74 missiles correctement orientés sont tombés sur des zones sensibles d'Israël.

On peut absolument comprendre que le système Israélien ne soit tiré que parcimonieusement, vu le prix d'un Tamir (de 50 000 à 62 000 $ suivant les sources), particulièrement cher par rapport au prix des fusées Qassam (800 $). 

D'un autre côté, le choix de n'abattre que les missiles orientés vers des cibles de valeur pourrait un jour se révéler catastrophique.

Ce serait le cas si une amélioration des vecteurs hostiles pouvait leur conférer une trajectoire terminale imprévue. 



Polémique en cours



L'analyse du Professeur Postol (Professeur de Physique au MIT) sur ce sujet a retenu considérablement l'attention des sphères de la défense aérienne des USA, d'autant plus qu'il avait, après la première Guerre du Golfe, démontré l'inefficacité du missile Américain Patriot de Raython contre les Scud Irakiens.

Il commence par réfuter l'argument selon lequel les faibles pertes Israéliennes étaient dues à la protection du Dôme de Fer. 

Il l'attribue ce fait positif au système d'alerte et d'abris Israéliens auxquels je me dois d'ajouter la discipline remarquable des citoyens de ce pays.

Cependant, ce n'est pas parce que la charge d'un Tamir explose que celle de sa cible en fait autant.



Une interception prouvée, reconnue et analysée (Fig 14 du document Postol) 



Se fondant alors sur les innombrables photographies publiques ou privées données comme preuves des interceptions par des Tamir, il en valide une seule comme authentique (figure 14 du document cité en tête de paragraphe).

Postol explique que la charge explosive des fusées du Hamas est située à leur proue, tandis que la charge destructrice des Tamir est située plus en arrière de la partie homologue. 

Elle expulse des sous-projectiles métalliques à une vitesse de 2 100 m/s (Mach 7), ce qui leur confère une énergie cinétique considérable.

Le déclenchement du tir est obtenu par la détection du retour de photons lasers de la longueur d'onde émise par le Tamir




Schéma idéal d'interception (Fig 3 du document Postol) 


Même si ces opérations vont très vite, elles prennent quand même du temps au moment où les deux missiles, tous deux très rapides, se croisent.

  • L'impact frontal direct est, par définition, exceptionnellement rare. Mais, dans le cas d'un passage proche suivant une trajectoire colinéaire à celle menant à un impact frontal, l'impact latéral d'un sous-projectile de Tamir sur le corps du missile Qassam est bien plus fréquent. Pourtant, il n'a, en général, aucune chance d'entraîner la détonation de l'engin du Hamas, parce que les trajectoires des sous-projectiles ne croisent quasiment jamais celle de la charge du missile visé. C'est une question de délai.
  • Dans le cas où le Tamir arrive selon une trajectoire orthogonale à celle du Qassam, les sous-projectiles suivent une trajectoire subparallèle à celle de ce dernier et ne peuvent pas le détruire.
  • Enfin, une arrivée du Tamir selon une trajectoire colinéaire à celle du Qassam n'a aucune chance de le détruire.

On peut imaginer sans peine que les critiques, à mon avis très constructives, du professeur Postol seront analysées très attentivement par les constructeurs du Dôme de Fer (comme, probablement, par ceux des Qassam).


La riposte des décideurs israéliens


Aussitôt, bien sûr des attaques ont été portées contre cette analyse. 

Elles sont menées surtout par des généraux Israéliens.

A la différence des arguments rationnels de Postol, il s'agit en général d'arguments que je me permettrais de qualifier de politiciens.

Par exemple, le général Uzi Rubin, entièrement impliqué dans le développement de la défense anti-missile Israélienne, de ce fait à la fois juge et parti, critique Postol : "il a examiné des vidéos prises par des smartphones et des caméras de la presse montrant les traces laissées par nos intercepteurs, mais dans lesquels les fusées ennemies restent invisibles. A partir de ces vues très partielles, il a tiré une géométrie d'interception qui convient à sa sous-estimation des performances du Dôme de Fer. Il en sort une estimation intuitive à 5 - 10 % de succès. Ces estimations sont fausses."

L'Institut Israélien des Etudes pour la Sécurité Nationale avait publié une analyse étrangement semblable à celle-ci en ce qu'elle refusait tout crédit à des documents vidéo qui ne seraient pas issus de caméras sophistiquée comme celles utilisées en trajectographie. 

C'est le type de réfutation méprisante des cuistres politiciens. 

Rappel juste destiné à alimenter leur réflexion, si une même interception a été filmée par plusieurs smartphones, la probabilité que ces films soient synchronisés étant infinitésimale, les conclusions que l'on peut en tirer ont alors de bonnes chances d'être beaucoup plus solides que celles issues d'une seule caméra même hypersophistiquée.


Des visions différentes


Le Jerusalem Post du 13 Septembre 2014 s'appuie sur un article de 2013 du Dr Faber (malheureusement en Hébreu), expert du domaine, pour exprimer une autre critique, qui concerne l'ensemble du système de missiles anti-missiles Israéliens, chacun d'entre eux étant adapté à un missile ennemi (balistique, tactique ou à courte portée).

En gros, Faber estime que, quel  que soit le niveau de la menace, Tsahal peut escompter détruire un tiers des missiles de tous types lancés contre lui.

Mais, pour chaque missile ennemi arrivant, quel que soit son type, il faut lancer au moins 2 intercepteurs.
La note est très salée, largement supérieure à 10 milliards de dollars. 

Une précédente opération militaire Israélienne avait dû se terminer le jour où le stock de fusées Tamir avait été entièrement consommé.

Faber considère que les fusées type Qassam sont justiciables de pièce d'artillerie type Phalanx CWIS, probablement bien moins coûteuses.


La revue Indian Strategic Studies a publié le 4 Août 2014 une étude intéressante où elle montre l'analogie du Dôme de Fer avec notre Ligne Maginot.


On y démontre que le succès des anti-missiles (et ceci concerne à la fois les Patriot de la 1ère Guerre du Golfe et le dôme de Fer) est avant tout un succès psychologique pour les populations "protégées" (même si la protection est illusoire). 

En réalité, c'est un immense succès politique.


Conclusion


Les missiles intercepteurs semblent tous conçus de manière assez semblable et ne peuvent pas avoir une efficacité suffisante pour protéger parfaitement ce qu'ils doivent protéger malgré un coût exorbitant.

Une autre approche serait peut-être plus efficace, mais les décideurs, qui appartiennent tous, plus ou moins, à la sphère politique, ne s'y intéressent pas.

Leurs électeurs Israéliens sont plus sensibles à la démonstration quotidienne et concrète que l'on fait quelque chose pour eux, et que cela coûte cher.

C'est donc un moyen d'éviter la paix aussi efficace que les fusée Qassam.





mercredi 3 septembre 2014

Il y a cent ans la Reconnaissance Stratégique naissait et déclenchait la Bataille de la Marne (révisé le 03 / 03 / 2024 ***)


Le 2 Septembre 1914, le caporal Louis Bréguet, emmenant comme observateur le lieutenant André Watteau et pilotant un appareil de sa conception (un Bréguet U2,), découvrait l'inflexion de trajectoire de l'armée von Kluck.


Bréguet U2, ancêtre des avions de la reconnaissance stratégique (cela ne s'invente pas !) - Le pilote est à l'arrière - photo récupérée sur http://jn.passieux.free.fr/html/BreguetU2.php.




Les officiers d'état-major du général Français Joffre (et qui connaissaient les ordres du général Allemand von Moltke à son subordonné von Kluck) refusèrent de les croire. 

Ils agirent de même le 3 Septembre avec les rapports du capitaine Bellenger, qui dirigeait l'aviation de la VI ème armée Française de Maunoury.

Bellenger décida de court-circuiter la voie hiérarchique et alla directement au QG du Général Gallieni qui dirigeait la défense de Paris. 

Il informa les officiers de liaison de Gallieni et du général Britannique French qui informèrent leurs chefs respectifs.

Gallieni donna alors au général Maunoury l'ordre de se préparer à attaquer sur l'Ourq. 

C'était le début de la Bataille de la Marne, qui fut une victoire stratégique, tout autant que celle de Valmy l'avait été en 1792.



Il est possible que certains de mes lecteurs me fassent remarquer que ce fut une victoire horriblement coûteuse en hommes, ou, encore, soulignent que nos troupes furent incapables de mener à fond l'exploitation de cette victoire.

Ces remarques seraient tout à fait pertinentes.

Mais l'important est que cette victoire a bloqué définitivement la progression de l'armée de Guillaume II qui croyait la victoire à portée de sa main. 

Elle dut retraiter puis s'enterrer. 

Même les monstrueuses offensives Allemandes de 1918 ne purent retrouver le chemin de la victoire.

C'est en cela que la victoire de la Marne est stratégique.


Et c'est aussi en cela que la reconnaissance aérienne de Louis Bréguet et André Watteau est une reconnaissance stratégique : En profondeur du dispositif ennemi, elle a permis d'en déceler les intentions, permettant de contrer une mécanique jusque là parfaite.


En Mai 1940, le dispositif choisi par Gamelin (voir ici ) interdisait un tel sursaut, d'autant plus que, cette fois, les Allemands, dont les avions espions nous survolaient tous les jours impunément, connaissaient parfaitement notre dispositif et nous rendaient très difficile la réciproque.

Pourtant, comme je l'ai dit dans cet article, nos équipages de reconnaissance avaient vu et prévenu leurs chefs exactement au bon moment...