jeudi 1 janvier 2015

Pays-Bas 1940 : La Chasse mortellement oubliée (Fokker D XXI, G1 et autres) (Complété le 21 / 03 / 2021 *)


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{Sources : Le n°9 de Batailles Aériennes, Juillet 1999, cet excellent site historique sur la Bataille des Pays-Bas (en anglais), plus diverses autres données, en particulier : W. Green Fighters vol I et III}


La neutralité, ses règles et... son prix



Avant de parler de la Bataille des Pays-Bas en Mai 1940, il me paraît utile de rappeler divers faits qui expliquent pourquoi ce pays tomba en seulement 4 jours, au prix de plus de 2 500 tués Néerlandais et de 7 500 blessés. 

Définition : La neutralité d'un pays est son engagement à ne pas porter les armes contre aucun autre pays, sauf à devoir défendre sa propre indépendance contre un pays agresseur.

Les pays qui décrètent l'état de neutralité sont parfois désireux d'éviter un conflit coûteux en argent et en ressources humaines, mais ils peuvent aussi avoir envie d'obtenir une grosse part du commerce international jusque-là dévolue aux protagonistes.


Quelques exemples

La Suède, que, de nos jours, on présente comme modèle de vertu, fit de très bonnes affaires pendant la seconde Guerre Mondiale avec un peu tout le monde, mais surtout avec l'Allemagne Hitlérienne.

Son rôle pendant la Bataille de Norvège fut plus que douteux, puisqu'elle transporta très volontairement dans ses trains les troupes Allemandes vers la Norvège (rien à voir avec la SNCF dans la France occupée de Juillet 1942, puisqu'elle n'était pas occupée par l'armée Allemande). 

La Suède recommença cette action en sens inverse (transport des forces Allemandes vers la Finlande) au début de l'opération Barbarossa en 1941 contre l'URSS, qu'elle assimilait à son ennemi héréditaire, la Russie.

Après 1945, ce pays s'engagea à financer beaucoup de reconstructions chez ses voisins Norvégiens précédemment occupés par les nazis : Elle avait effectivement beaucoup à se faire pardonner.


En fait, lorsqu'un pays décrète sa neutralité, cela implique sa capacité opérationnelle à faire respecter son indépendance et sa souveraineté, donc, entre autres, à garantir l'infranchissabilité de ses frontières. 

Dans le cas contraire, ce pays peut être absorbé par un autre pays, voire pire, subir sa partition entre plusieurs autres pays. Dans ce cas, les citoyens du pays disparu devront, tôt ou tard, se conformer aux désirs de ceux qui dirigeront ces autres pays. 

{La disparition de la Pologne au 18ème siècle ne fut pas liée à un quelconque désir de neutralité mais résultait d'un bellicisme permanent et tous azimuts associé à une absence totale d'unité interne et à l'impossibilité de trouver des alliés, les alliés d'un jour pouvant être traités en ennemis le lendemain.}

Autrement dit, et contrairement à ce que pensent ceux qui sont agités par les courants pacifistes, la neutralité est un luxe qui coûte obligatoirement très cher.


Ne pouvant en aucun cas compter sur un quelconque pays tiers pour garantir cette neutralité (un tel service ayant toujours un prix exorbitant), un pays neutre doit être en mesure de se défendre contre les menaces extérieures, ce qui, en bonne logique, se construit suivant 2 directions complémentaires : 
  • Militaire : La constitution d'une armée puissante (= coûteuse), entraînée et motivée.
  • Diplomatique : L'établissement d'alliances à la fois discrètes et très bien préparées.

Les USA de 1940 étaient neutres également. Eux aussi firent d'excellentes affaires avec toutes les parties du conflit.

Il est vrai qu'ils n'avaient alors aucune armée digne de ce nom, que cette armée était dépourvue de chars (malgré le génie de Christie, prophète Américain en URSS avec le remarquable T 34) et son aviation de Chasse était médiocre (P 36, P 40) mais elle disposait d'une excellente aviation pour le bombardement à longue distance (mais pas encore stratégique). 

Leur puissante marine était dirigée sans aucun génie. 

Heureusement pour eux - et pour nous - ils étaient riches de toutes les ressources possibles, y compris d'officiers supérieurs mal notés mais remarquables, comme le génial Patton (ce qui semble souvent corrélé).

En plus, de même que la Russie fut, est et sera toujours protégée par le Général Hiver, les USA étaient, sont et seront toujours protégés par l'Amiral Atlantique et l'Amiral Pacifique, sans qu'il ne leur en coûte rien : Comme fossé anti-char, on n'a encore jamais fait mieux.


Les pays qui illustrèrent réellement la neutralité (en 1940) furent la Suisse et l'Irlande.

Le territoire Suisse, riche de torrents, de lacs et de très hautes montagnes, facilite indiscutablement sa propre défense. 




Le territoire Suisse



Les célèbres banques Suisses ont apporté à leur pays de puissantes armes financières. 

De plus, depuis sa création, ce pays dispose d'une armée de citoyens bien entraînés et d'une réelle industrie d'armement de bon niveau.

En 1937 (au fameux meeting de Zürich), la Confédération Helvétique avait choisi le Messerschmitt 109 E pour défendre son espace aérien : Un excellent choix. 

Cet excellent chasseur y entra en service en 1939 et, dès l'entrée en guerre, il fut employé efficacement, y compris contre les Allemands, qui essayèrent même de punir ces clients trop efficaces à leur égard... sans parvenir d'ailleurs à les intimider

Entrer en Suisse ne pouvait donc en aucun cas apparaître comme une promenade de santé militaire.


L'Irlande, de son côté, disposait d'un relief bien moins haut mais quand même très compliqué, avec des voies de communication très médiocres et une population habituée à combattre les envahisseurs Germaniques (Viking puis Anglo-Saxons) depuis un millénaire, sans renoncer à rien de leur personnalité collective qui garde en mémoire les génocides subis de la part de leurs ennemis. 

Déjà bien occupé depuis Août 1914 par la guerre avec l'Allemagne, le gouvernement Britannique n'avait donc aucun intérêt à agresser l'Irlande dirigée par Eamon de Valera. Il ne le fit pas.

Quant à Hitler, en 1939, il fut incapable de fléchir la neutralité Irlandaise à son profit. 

Quant à y intervenir physiquement, le problème d'un débarquement en République d'Irlande était encore bien plus compliqué que de débarquer en Angleterre...



De la Défense des Pays-Bas ou les problèmes d'un pays plat


Le problème posé par la neutralité des Pays-Bas était tout autre. 

Ils constituaient, en 1940, un pays de 8.8 millions d'habitants. 

Leur territoire, d'une superficie de 41 500 km², un peu plus que la Suisse, compte une bien plus grande part de surface liquide (18% du territoire, dont l'immense Zuiderzee de 5 000 km²).




Carte du "relief" des Pays-Bas (altitude maxi : 320 m, à l’extrême Sud-Est du pays) - aucun des reliefs visibles sur cette carte ne serait perceptible sur la carte de la Suisse donnée plus haut.


Ce territoire est donc d'une nature exactement opposée à celle de la Suisse, puisque beaucoup de ses terres se trouvent à une altitude négative. 

Par ailleurs, réduire les Pays-Bas de 1940 à leur seul territoire Européen serait totalement inexact. 

Car la grande tradition maritime de ce pays l'avait conduit à l'exploration du globe, au commerce et même à la maîtrise absolue de la Mer, au temps du grand amiral Michiel De Ruyter (1607-1676).

Cela conduisit aussi ce pays à se doter d'un gigantesque empire colonial dont le fleuron était l'Indonésie (appelée alors Indes Néerlandaises ou Insulinde) qui leur apportait, entre autres, une gigantesque source de pétrole (exploité par la compagnie Royal Dutch Shell)

Autant dire que ce pays était, en réalité, très, très riche. 

Mais riche peut parfois s'accorder avec avare.


D'un autre côté, les Pays-Bas s'étaient très mal remis de la révolution Belge, rendue inévitable par le sectarisme religieux Néerlandais et qui avait abouti à la création de la Belgique en 1832, sous l'égide conjointe de l'Angleterre et de la France. 

Les Néerlandais gardaient donc une rancune tenace vis à vis de ces 3 pays.


Pendant la Grande Guerre, si les Pays-Bas s'étaient déclarés neutres, l'un de ses ressortissants, Antony Fokker avait apporté son talent d'ingénieur à l'armée de Guillaume II, lui apportant la maîtrise de l'air pendant une année à partir de Mai 1915, en contrepartie de masses de capitaux Allemands à son profit. 

Après la défaite de l'Allemagne, le gouvernement Néerlandais offrit à l'empereur Allemand déchu une résidence permanente où il vécut jusqu'à sa mort.

Les Néerlandais étaient donc toujours Germanophiles pendant toute l'Entre-Deux-Guerres. 

En conséquence :
  • Ils achetaient toujours des canons Allemands (mais, malheureusement pour eux, pas les meilleurs). 
  • Ils expérimentaient discrètement sur leurs sous-marins, et toujours pour le compte des Allemands, le dispositif Schnorchel permettant de recharger les batteries en plongée périscopique.
En cas de nouvelle guerre en Europe, le gouvernement Néerlandais aurait aimé suivre la voie profitable de la neutralité, d'autant plus que le niveau de leur armement n'atteignait même pas, techniquement, le niveau de celui des belligérants de 1918 (Source : Wikipedia en langue Anglaise de Décembre 2014) !



Pourtant, l'accession au pouvoir de Hitler fut comprise comme un grave danger par certains militaires Néerlandais. 

Mais leurs gouvernants rechignaient à en tirer les conséquences logiques, déjà sur le plan des alliances : Ils n'aimaient pas les Alliés et détestaient les Belges.

Ce qu'ils ne comprenaient pas non plus, c'est qu'une alliance ne se résume pas seulement un système d'exercices sur cartes et ne peut pas, en conséquence, s'improviser en quelques heures : Pour aider un pays agressé, les hommes d'un pays bien concret doivent venir combattre dans un pays qu'ils ne connaissent pas. 




Soldats Néerlandais en 1939 : Une situation remarquable, mais impensable pour les soldats Français de l'époque


Cela posa peu de problèmes entre Français et Italiens en 1917 - 1918 (voir ce post) car les langues des deux pays ont beaucoup de points communs et parce que les deux pays ont à peu près la même diversité de reliefs.

Par contre, les Pays-Bas constituaient un monde entièrement nouveau pour des soldats Français : Outre que le Néerlandais ressemble beaucoup à l'Allemand, les caractéristiques physiques du pays étaient (et sont toujours) déroutantes pour nous. 

L'eau y est omniprésente, sauf à l'Est, ce qui, par exemple, devait modifier sérieusement la conception et le positionnement des fortifications de campagne élémentaires, mais aussi les déplacements des hommes.

Lorsque la guerre fut enfin comprise comme inévitable (en 1936), il était trop tard pour obtenir des armes. 

Les Allemands, qui, par définition, connaissaient la suite des événements qu'ils allaient déclencher, ne voulaient pas en livrer mais ne leurs disaient pas, pour éviter qu'ils ne se fournissent ailleurs, les Français ne voulaient pas armer un pays peu amical jusque là et les soviétiques ne pouvaient même pas être approchés puisque les Pays-Bas ne reconnaissaient pas l'URSS !  

Il y avait bien des possibilités avec l'Italie, la Suède, la Suisse et le Danemark, mais aucune ne fut exploitée à fond. 

De leur côté, les Allemands ne considéraient pas les Pays-Bas comme un vrai pays, tout simplement.


Passer par le toit, surtout quand il n'y en a pas !

Pourtant, dès 1905, le fameux plan Allemand Schlieffen, destiné à défaire la France, évoquait déjà la possibilité de violer la neutralité des Pays-Bas. Mais cela concernait surtout l'appendice Sud-Est du pays.

En plus, et pour des raisons jamais complètement explicitées (on lit que Göring y aurait vu une protection de la Ruhr et une plus grande facilité pour bombarder la Grande Bretagne), Hitler semble avoir tenu à disposer de toutes les côtes Européennes, ce qui est un indice probant de sa volonté de tenir toute l'Europe sous sa coupe.  

Cependant, les Pays-Bas ne sont pas un pays d'accès facile pour une armée motorisée qui devrait impérativement suivre les routes déjà existantes. 

En effet, ce plat pays se comporte comme une gigantesque nappe phréatique.





Géographie physique des Pays-Bas : L'omniprésence de l'eau




Le territoire émergé des Pays-Bas est maillé de très nombreux cours d'eau, de zones marécageuses et de canaux très rapprochés les uns des autres.

En conséquence, les terres y sont toujours très humides : Ce n'est donc pas le terrain de manœuvre idéal pour des chars, comme le maréchal Montgomery s'en rendit compte à ses dépens lorsqu'il lança son offensive sur Arnhem en Septembre 1944

Il était donc naturel que Hitler ait fait attaquer les Pays-Bas par ses troupes aéroportées.

Son plan était sophistiqué, parce qu'il voulait une victoire très rapide.

La Wehrmacht attaqua par la terre en lançant ses troupes vers 3 points : 
  • au Nord, vers la digue Afsluitdijke qui ferme l'Ijselmeer,
  • au Centre, vers Arnhem et Wageningen,
  • au Sud, vers Tilburg.
Simultanément, la Luftwaffe amenait par la Mer du Nord environ 15 000 fantassins dont une brigade de parachutistes qui attaquèrent les grandes villes clef de Rotterdam et La Haye (Den Haag), siège du gouvernement.




Les moyens aériens Néerlandais


Face à cette nouvelle forme d'attaque, qui n'était pas prévue par les militaires qui s'étaient autoproclamés comme sérieux, les Néerlandais étaient présumés incapables de se défendre.

Cependant, depuis 1936, les généraux Hollandais avaient commencé à organiser une défense. 

On était parti d'une aviation comptant en tout :
  • Une escadrille de Chasse, soit une douzaine d'avion (!),
  • Une escadrille de Reconnaissance Stratégique, 
  • Une de Reconnaissance Tactique,
Cela signifiait moins de 40 avions en tout, et, d'un coup, on devait passer à :
  • 8 escadrilles de Chasse, soit une centaine d'avions,
  • 6 escadrilles de Reconnaissance,
  • 3 escadrilles de Bombardement.
La progression numérique prévue était considérable - on passait à environ 200 avions soit une augmentation de près de 500% - mais elle était techniquement tout aussi considérable, ce qui en aurait fait une force aérienne supérieure à celle de la Pologne : 
  • On passait des biplans aux monoplans, 
  • on osait les trains d'atterrissage escamotables, 
  • on commençait à employer la radio, 
  • on multipliait par 2 le nombre des armes de chaque avion,
  • on osait enfin disposer de véritables bombardiers, même si ces derniers étaient encore vus comme des croiseurs aériens tels que définis par Giulio Douhet en 1927.
La partie Défense proprement dite, était organisée sur les deux armes traditionnelles : 
  • L'artillerie de DCA, entièrement revue et modernisée.
  • L'Aviation de Chasse.
Avec un peu de chance, à ces deux entités, pourrait s'ajouter la Chasse Alliée (lire Française et Anglaise).

Les deux composantes purement Néerlandaises de cette défense ne furent mis en place que extrêmement tardivement (à partir de 1938), ce qui explique aisément que les effectifs n'aient pas été complets le 10 Mai 1940. 

La Chasse comptait, en tout, plus d'une soixantaine d'avions, dont 36 monoplaces Fokker D XXI et autant de bimoteurs biplaces G I dont, malheureusement, beaucoup n'étaient même pas armés.


Le Fokker D XXI était un chasseur minimal (= facile à réparer et employant des matériaux bons marché) pour essayer d'obtenir une commande d'un gouvernement totalement aveugle à la montée exponentielle du bellicisme nazi.

Le fuselage de ce chasseur était de structure mixte, en tubes d'acier entoilé, l'aile était en bois recouverte d'un composite toile/bakélite et le train restait fixe.

Le moteur, correctement capoté, était un Bristol Mercury VIII de 9 Cylindres en étoile à refroidissement par air de 830 Cv à 4 250 m d'altitude (presque le même que celui monté sur le Gloster Gladiator).

La masse du D XXI était de 1 600 kg à vide et passait, au décollage, à 2 000 kg.  

La voilure avait une envergure de 11 m et une surface de 16.2 m², assurant une charge alaire de 121 kg/m², gage d'une très bonne manœuvrabilité.





Fokker D XXI avec les marquages de 1940


La vitesse de pointe atteignait 460 km/h à 5 100 m d'altitude.

La vitesse de croisière à 82 % de la puissance atteignait 430 km/h et la distance franchissable à 340 km/h (à 40 % de la puissance) était quasiment de 1 000 km.
La vitesse maximale indiquée atteinte en piqué était de 700 km/h.

Les temps de montée étaient excellents (comparables à ceux du Messerschmitt 109 E) : 
  • 3 000 m en 3' 25",
  • 6 000 m en 7' 30".
Le plafond était supérieur à 10 000 m.

La masse relativement faible de cet avion s'avéra être un avantage tactique important, dans la mesure où il pouvait se poser facilement sur sol meuble et en repartir tout aussi facilement.


L'armement de 4 mitrailleuses de 7.92 mm, avec 300 cartouches par arme, était donc de même ordre que celui d'un Bloch 151 ou d'un Caudron 714 Cyclone.

Cependant, suivant les sources, les mitrailleuses étaient soit des Browning modernes - vitesse initiale de 840 m/s - soit des Vickers de conception plus ancienne - v.i. de 740 m/s - qui induisaient des forces d'impact nettement plus faibles.  


{En gros, le Fokker D XXI était comparable au chasseur Nakajima Ki 27 contemporain mais ce dernier, certes deux fois moins armé, était un peu plus rapide, meilleur grimpeur et plus manœuvrant car sa voilure comptait 2 m² de plus et sa structure métallique monocoque lui assurait un gain de masse de 200 kg.}


Les bons résultats des essais débloquèrent une commande de 36 avions par le gouvernement des Pays-Bas (en 1937), puis du Danemark, de la Finlande et de la République Espagnole. 

Il fut à un moment question d'envoyer tous les avions issus de la commande Néerlandaise en Insulinde (actuelle Indonésie) car l'expansion Japonaise en Chine commençait à se rapprocher de l'Indochine Française, donc de la Malaisie, dernier pas à franchir pour débarquer sur Java ou Sumatra (pour le pétrole).

Le hasard fit assez bien les choses, puisque ce projet fut annulé devant la montée de la tension entre Hitler et ses voisins.

Mais il est dommage que les évolutions de ce chasseur avec des moteurs plus puissants et un train escamotable n'aient jamais été prises en compte.



Aux Pays-Bas comme ailleurs, les chasseurs monoplaces et monomoteurs ne passionnaient pas les politiques, incapables de voir les évolutions réelles autres que électorales.

Alors, comme souvent, ils voulurent faire des économies de bout de chandelles en sacrifiant à la mode du "tout-en-un".

Comme tout constructeur, Fokker avait besoin de commandes pour vivre et sortit le Fokker G 1, un bimoteur équipé de 2 moteurs en étoile, selon une formule qui fut bien plus réussie à tous points de vue - en particulier sur le plan de l'aérodynamique - avec le Lockheed P 38 Lightning.

L'engin Néerlandais, de plus de 11 m de long, avait une voilure de plus de 17 m d'envergure et de 38 m² de surface. 





Fokker G 1


Ces dimensions excédaient largement celles des chasseurs bimoteurs contemporains, en particulier la surface alaire de 30% supérieure à celle du Bréguet 693. 

Le bombardier Français était nettement plus rapide que le G1 malgré une puissance motrice inférieure de 260 Cv et une masse au décollage supérieure de 800 kg.

Les moteurs Mercury VIII du Fokker apportaient certes une puissance de 830 Cv (130 Cv de mieux qu'un GR 14 Mars) mais aussi un maître-couple de 1.33 m² par fuseau moteur contre seulement 0.66 m² sur les bimoteurs Français.

L'armement était de 8 mitrailleuses de 7.92 mm, mais la charge qu'il imposait dans le nez semble avoir posé des problèmes de centrage sérieux.

Par ailleurs, la forte masse de cet avion le désavantageait lors d'un atterrissage sur une surface non préparées : Il avait tendance à s'enfoncer dans le sol.

Je suis plus que sceptique vis à vis de la valeur de vitesse maximale annoncée de 475 km/h à 5 000 m.

Celle de 435 km/h donnée dans l'excellent n°9 de Batailles Aérienne (Juillet 1999) est d'autant plus plausible qu'elle est cohérente avec les capacités ascensionnelles de l'engin, très moyennes pour un chasseur :
  • 3 000 m en 5 minutes,
  • 6 000 m en 12 minutes (vu le temps pour 3 000 m, le temps de 9 minutes pour une altitude double que l'on trouve dans la littérature est peu crédible à moins d'avoir été obtenu sans armement ni mitrailleur). 
Le plafond était de 9 000 m.

L'engin avait une honnête maniabilité en virage (cela se voit sur les vidéos d'époque), mais la maniabilité latérale était tout juste moyenne et demandait certainement d'exercer une force importante sur le manche, en cette époque où les servocommandes n'étaient pas encore opérationnelles. 

Louis Bonte, dans l'Histoire des Essais en Vol, lui reconnaissait des qualités de vol "à peu près correctes" mais des performances très inférieures à celles du Potez 63 et du Bréguet 690.

En fait, le Fokker G 1 aurait fait un très honnête bombardier léger / avion d'assaut.

Mais il fut commandé pour la Chasse, domaine dans lequel il n'avait aucun avantage sur le Messerschmitt 109 E dans quelque domaine que ce soit, sauf l'autonomie.



Un autre Chasseur fut employé lors de la Bataille des Pays-Bas : Le Fokker D XVII, un biplan ayant volé pour la première fois en 1932.

Avec sa masse au décollage de  1 500 kg et sa surface alaire de 20 m², sa charge alaire ne dépassait pas 75 kg/m², gage d'une maniabilité impressionnante. 

La vitesse de 360 km/h à 4 000 m était très honnête, de même que la distance franchissable de plus de 800 km.

Par contre, l'armement n'était que de 2 mitrailleuses de petit calibre et, le pire de tout, seulement 11 avions avaient été commandés (il n'était question que d'armer une seule escadrille).

Lorsque Hitler envoya ses Junkers 52, le 10 Mai 1940, les 7 Fokker D XVII survivants ne furent pas instantanément de la partie, les autorités Néerlandaises préférant les réserver dans le rôle d'avions de perfectionnement à la Chasse. 

Ce ne fut que le lendemain que 6 de ces vieux chasseurs furent enfin mis en condition opérationnelle.

Avec le recul, il paraît évident que si ces avions avaient été lancés à l'attaque des Ju 52 transportant de l'infanterie, ils eussent, sans aucun doute, pu contribuer à leur destruction.


Enfin, il me faut aussi parler du seul type de bombardier Hollandais, le Fokker T V.

C'était un bimoteur de construction mixte, long de 16 m et doté d'une voilure de 21 m d'envergure et de 66 m² de surface qui avait une masse de 4 650 kg à vide et de 7 250 kg au décollage.

Il disposait de moteurs Britanniques Bristol Pegasus de 925 Cv lui conférant une vitesse de pointe tangentant les 420 km/h.

Il disposait d'un canon de 20 mm tirant en chasse et de 5 mitrailleuses de petit calibre sur les autres axes.

A 350 km/h de croisière, il avait une autonomie de 1 550 km.

La charge de bombe possible était de 1 000 kg.

Il en fut commandé 16...




L'épreuve du feu


Le 9 Mai 1940 au soir, les Hollandais, parfaitement prévenus de l'attaque Allemande, mirent leurs forces armées en alerte.

La base la plus rapidement en action, au petit matin du 10 Mai, fut celle de De Kooy, située à 3 500 m à vol d'oiseau au Sud de l'entrée du port de Den Helder.

Là, le 1 Ja. V.A. (escadron de Chasse), équipé de 11 Fokker D XXI, fut mis en l'air à 04:00.

{Soit dit en passant, la réaction Néerlandaise fut ici la meilleure de toutes les réactions Alliées !

Les  avions étaient regroupés en 3 patrouilles de 3 avions et une de 2 avions.

Une première patrouille avait rapidement descendu un Heinkel 111, tandis qu'un autre pilote avait rattrapé et descendu un Ju 88. 


Une autre patrouille fut rappelé sur De Kooy, où les Bf 110 mitraillaient à tout va.

Malheureusement, l'un des pilotes préféra attaquer deux He 111. Les mitrailleurs ennemis le descendirent.

Les D XXI rappelés à De Kooy furent attaqués par 5 Bf 109. 

L'un des pilotes Néerlandais, surpris, put se poser en catastrophe : Il eut juste le temps d'évacuer son Fokker avant qu'il ne s'enflamme. 

Ses collègues, avertis, profitèrent de leur excellente maniabilité pour descendre 2 Bf 109 E. 

Lorsque tous ces engagements furent terminés, 8 Fokker D XXI se posèrent sur leur terrain de départ, tous portant des stigmates de la bataille.

Quatre, réparés très rapidement, repartirent dans l'heure qui suivit et trois autres dans l'après-midi.

Les résultats obtenus dans ce second temps ne semblent pas avoir été concluants.




A Schiphol, 9 D XXI décollèrent au moment de l'attaque Allemande. 

Un Junkers 88 fut abattu. Deux Fokker durent se poser pour réparer. 

Dans une confrontation avec des Bf 109, un Fokker fut abattu, pilote tué. Cinq parmi les chasseurs restants descendirent un Junkers 52 dont les parachutistes furent faits prisonniers. 

Les 6 D XXI restants furent remis en état et redécollèrent à 12:15 pour escorter 3 bombardiers Fokker T. V ("croiseurs aériens" apte à délivrer 1 000 kg de bombes).

Une dizaine de Bf 109  les interceptèrent, abattant 1 Fokker et en endommageant un autre. Mais les chasseurs Allemands payèrent cela par la perte de 3 des leurs.



A Waalhaven (partie Sud du port de Rotterdam), les pilotes n'étaient pas tous en place tout de suite, au moment où 27 Heinkel 111 bombardaient le terrain pour faciliter le débarquement des fantassins Allemands. 

A cause de cela, 3 Fokker G 1 furent détruits au sol, mais les 8 restants décollèrent.

Un G 1, qui avait décollé sans mitrailleur (tué par les bombes), fut rapidement abattu, pilote tué.

Un second Fokker descendit 2 He 111 mais dut se reposer avec un moteur hors service. 

Le même scénario se reproduisit à l'identique pour un autre G 1.

Un quatrième chasseur Néerlandais, piloté par le Lieutenant G. Sonderman, pilote d'essai de Fokker, abattit un Ju 52 et deux Messerschmitt 109 avant de devoir se poser sur une plage par manque d'essence. 

Ce bilan est exceptionnel pour le G 1 (3 avion dont deux Bf 109 E) et doit être corrélé avec la qualité exceptionnelle de son pilote. 

Un de ses camarades, manquant d'essence, se posa sur la même plage.

Le cinquième G 1 abattit un Ju 87 et un Messerschmitt puis se posa aussi sur la même plage.

Tous ces chasseurs furent capturés ou détruits sans jamais avoir pu revoler... 

Le sixième Fokker détruisit 2 bombardiers mais, endommagé par les chasseurs de protection, dut se poser en urgence.

Un seul de ces avions avait survécu à ces combats.

Le 4ème Ja. V. A., quant à lui, fut immédiatement détruit au sol à un avion près. 


De l'ensemble de ces combats des Fokker G 1, on tire 11 victoires, essentiellement sur des bi- ou trimoteurs, pour le prix de 7 avions détruits ou capturés (je ne compte évidemment pas les 3 avions écrasés sous les bombes au début de l'action).

Les victoires du G 1 peuvent être mises en relation avec son armement, deux fois plus puissant que celui du Fokker D XXI. 

Par contre, le nombre d'avions incapables de repartir est probablement à corréler avec deux caractéristiques du G 1 : 
  • Cet avion se voyait et pouvait facilement être identifié de très loin, sa silhouette étant unique ;
  • Son inertie, bien plus grande que celle du D XXI, réduisait son agilité et ne lui permettait pas une défense idéale.

Par comparaison, le Fokker D XXI démontre un bilan finalement bien plus brillant :
  • 3 bombardiers,
  • 1 transport de troupes, 
  • 5 Bf 109 E,
soit 9 victoires pour 5 Fokker D XXI détruits.

Deux d'entre ces derniers le furent par surprise
 par un groupe de Bf 109 au début de l'attaque.

Un autre fut abattu par des mitrailleurs de bombardiers, ce qui montre l'absence de blindage du pare-brise.


La surprise passée, ces monoplaces ne semblent pas avoir éprouvé de difficulté particulière avec les Bf 109 E, adversaires pourtant universellement vus comme très dangereux.

Cela souligne en conséquence l'excellence de la formation des pilotes de chasse Néerlandais.
 

La réapparition rapide dans les effectifs opérationnels de D XXI considérés par les Allemands comme descendus montre la réelle rusticité de ces chasseurs. 

Par contre, ce chasseur hollandais avait du mal à "finir" les bombardiers ennemis.



Il n'en alla pas du tout de même pour les bimoteurs G 1 qui ne retrouvèrent quelques forces qu'au moment où Fokker eut réussi à armer (à moitié) des avions déjà terminés mais non livrés.

C'est ainsi qu'à l'issue de cette très dure journée de combats, il y avait 16 Fokker D XXI survivants sur 20 contre seulement 1 Fokker G 1 sur 8
Ce constat condamne sans appel le Fokker G 1 comme avion de chasse.


Pour ce qui est des 16 Fokker T. V., ils furent amenés à jouer leur rôle de croiseurs aériens dès leur décollage en première alerte. 

Confrontés à une formation de bombardiers Allemands, ils descendirent deux bombardiers ennemis grâce à leur canon de 20 mm frontal et à leur faible rayon de virage.

Par la suite, ils furent amenés à bombarder les objectifs qui leur furent désignés. Mais quand ce fut sans escorte, leurs pertes furent élevées. 

Par contre, pour une raison que j'ignore, ils éprouvèrent de grosses difficultés à mettre leurs bombes au but. 

Il est possible que la très faible charge alaire (115 kg/m²), voulue pour leur donner des capacités de combat aérien (qu'ils démontrèrent effectivement), ait joué un rôle négatif sur ce plan, en particulier si l'atmosphère était turbulente.

Le 13 Mai, tous les 16 avaient été descendus...



Petit bilan aérien de la Bataille des Pays-Bas


La Bataille des Pays-Bas fut arrêtée le 14 Mai par la capitulation de l'Armée Néerlandaise qui fut la conséquence directe du bombardement terroriste de Rotterdam. Cette bataille avait duré 5 jours

Les pertes aériennes Allemandes s'élevèrent à 530 avions crashés sur le sol Néerlandais en Mai 1940. 

Même si la Bataille de Zélande continua quelques jours au-delà du 14 Mai, elle ne contribua que pour une moindre partie à ce total.

Les plus grosses pertes Allemandes concernèrent les Junkers 52 transportant les troupes aéroportées et les parachutistes. Cette flotte de transport comptait 430 Ju 52, chacun portant 17 parachutistes et les avions qui le purent repartirent chercher une seconde fournée pour renforcer les effectifs déjà sur place. 

Cette armada était bien sûr escortée de nombreux Messerschmitt qui manquèrent énormément aux bombardiers Allemands qui attaquaient les aérodromes Français au même moment. 


La DCA Néerlandaise était constituée de près de 270 pièces de canons dont l'essentiel étaient ultra-modernes.

A cela s'ajoutaient 450 mitrailleuses confisquées aux Allemands fuyant devant les Alliés en 1918 et qui furent mis en œuvre par des servants compétents.

Cependant, l'alerte aérienne reposait uniquement sur des observateurs humains ou des site-mètres acoustiques (2 prototypes de radar détectant à 15 km furent, semble-t-il, essayés).


Cette DCA joua un rôle décisif en obtenant plus d'une centaine de victoires, essentiellement aux dépens des transports de troupe Junkers 52 qui volaient à très basse altitude pour atterrir et débarquer leurs soldats. 

Il est très possible que certaines de ses victoires soient des mises à mort d'avions préalablement touchés par la Chasse Néerlandaise ou Alliée, mais cela n'enlève absolument rien à aucune des unités impliquées.


On sait que l'usine Fokker dut réparer ou reconstruire une centaine de Junkers 52 pendant les mois qui suivirent l'invasion des Pays-Bas. Bien d'autres (environ 150) étaient définitivement perdus.



Conclusion pour le IIIème Reich


Plus de la moitié des forces du transport aérien militaire Allemand furent immobilisées ou détruites pendant cette première et efficace offensive aéroportée de l'Histoire.

Il est donc très probable que ces Ju 52 aient ensuite manqué à Hitler.

Mais c'est exactement le jeu de la Guerre : Les ressources créées pour les tous premiers pas de la Guerre ont de fortes chances d'être consommées très vite.

Oui, Hitler a manqué de ressources dès la fin de 1942. 

Cela signifie simplement qu'il n'avait pas compris qu'une bonne logistique exigeait une préparation à la fois bien plus rigoureuse et, surtout, devait être susceptible de renouvellement. 

Oui, il est exact que sa logistique était parfaite pour battre la France, après les pays d'Europe du Nord. 

Mais, pour l'inévitable suite, le compte n'y était pas.

Par ailleurs, on peut lire, dans les mémoires de Guderian, ses regrets qu'une autre politique n'ait pas été choisie vis à vis des pays vaincus par l'Allemagne.

Ceci fut écrit près de 10 ans après la reddition de Mai 1945, donc après la guerre, et au moins partiellement pour donner une meilleure image de son action militaire.

Mais peut-être aussi parce qu'il avait compris que la guerre de pillage Prussienne n'était définitivement pas une solution stable.

Il reste que l'action aéroportée de Mai 1940 en Hollande a ouvert un boulevard aux opérations aéroportées massives pour tous les autres pays du monde.


Conclusion pour les Pays-Bas

Initialement, peu de cadres de la Wehrmacht aurait parié sur les capacités de résistance de l'Armée Néerlandaise. 

Pourtant, malgré un certain nombre de faiblesses, toutes liées aux politiciens, malgré une attaque très bien pensée et bien exécutée, l'armée Néerlandaise s'est bien défendue, menaçant de faire durer la bataille plus de deux fois le temps escompté par l'OberKomando der Wermacht.

Certaines décisions, prises plus tôt, auraient pu avoir des conséquences positives :
  • Créer une armée blindée ;
  • Disposer d'une puissante artillerie ;
  • Tenter de disposer d'une couverture aérienne efficace : Les 72 avions commandés étaient loin de pouvoir suffire, ni contre les Allemands, ni même contre les Français si, hypothèse ô combien absurde, ils avaient voulu attaquer les Néerlandais ; Il en eut fallu au moins 4 fois plus. Déjà soi-disant frugaux (comme ils veulent le faire croire de nos jours), ils négligèrent cette possibilité.
  • Au sein des unités aériennes, favoriser les chasseurs adaptés au terrain, donc les Fokker D XXI et les avions qui en développaient le concept vers plus de performances.

Si cette dernière inflexion avait été réalisée, même le bombardement de Rotterdam n'aurait pas eu les mêmes conséquences, car les troupes aéroportées ne s'y seraient probablement même pas été risquées.

Si je suis peu enclin à aimer de tels décideurs, on reconnaîtra que j'ai une grande admiration pour ceux qui ont fait la guerre et pour leur immense courage. 

J'ai donc une pensée très reconnaissante pour les acteurs Alliés de cette Bataille des Pays-Bas parce que, eux, ils n'ont jamais mégoté leurs sacrifices.