vendredi 22 décembre 2017

Préparation du Blitz Krieg par le général Guderian et rôle de la Luftwaffe (Enrichi le 11 / 06 / 2022 ***)

{Source : A la tête des Panzers : Souvenirs d'un soldat, traduction Française de François Courtet et Leclerc-Kohler de Erinnerungen eines Soldaten du General-oberst Heinz Guderian.
Ce général était sorti de la grande Guerre en tant qu'officier d'état-major, issu du régiment des chasseurs de Goslar, une unité d'infanterie. Il n'avait pas de passion particulière pour la mécanique. 
En 1922, il fut affecté à l'organisation du transport automobile de la nouvelle armée Allemande de la République de Weimar (dite Armée de 100 000 hommes). 
Se préoccupant de la sécurité des soldats qui devraient être transportés par ses camions, il porta son intérêt sur les chars et fit réaliser des chars factices qui en avaient l'aspect mais pas les capacités de franchissement.
Il put commencer à comprendre, vers 1929, comment  les chars devaient s'intégrer avec toutes les autres armes.
Avec le général Lutz, il créa les premières divisions de Panzer. }



Le contexte


Pour notre malheur, le général Guderian fut vraiment un des tout meilleurs généraux du IIIème Reich

Au moment qui m'intéresse, il venait de jouer un rôle important dans la Campagne de Pologne avec son XIXème Corps d'Armée et ses unités blindées bien entraînées. Il avait permis de résoudre un certain nombre de situations susceptibles de bloquer l'offensive Allemande.

Après cette première victoire, obtenue en un peu plus de cinq semaines, Hitler avait décidé de passer à la suite de son programme. 

Il avait chargé le général Halder et l'OKH (Oberkommando des Heeres = commandement suprême de l'Armée de Terre Allemande), de préparer cette nouvelle offensive contre la France

Certains s'offusqueront peut être que je n'écrive pas "contre les Alliés". Mais Hitler avait clairement défini ses buts de guerre dans son livre-programme "Mein Kampf" : D'abord abattre la France, ensuite coloniser la Russie. 

Attaquer l'Angleterre ne l'attirait pas, les Anglais - en cas de victoire Allemande - bénéficiant d'un traitement à part.


{Le dictateur Allemand eut d'autant plus facilité à ignorer la Grande Bretagne que, en 1938, elle ne disposait d'aucune force projetable pour ce que l'on appellerait de nos jours une guerre symétrique. 
  • Elle ne disposait d'aucun char digne de ce nom (les 1700 chars Vickers Mk VI produits depuis 1936 n'étaient armées que de mitrailleuses et n'étaient blindés qu'à 14 mm...). 
  • Le nombre de ses soldats mobilisables était faible - pas de conscription - et en 1939, elle projeta 12 divisions en France, la moitié de ce que la Belgique avait mobilisé.
  • Elle ne disposait d'aucune arme anti-char puisque, en 1939, il lui fut nécessaire d'acheter des canon de 25 mm à notre pays... 
Par ailleurs, son aviation était encore majoritairement composée d'avions obsolètes (Gloster Gladiator) et la fabrication des avions modernes (Spitfire, voire Hurricane) tardait à démarrer.}



Hitler, quant à lui, ne se préoccupait que des pays qui risquaient de lui poser de vrais problèmes militaires. 

Bien renseigné sur l'équipement de l'armée Néerlandaise, les Pays-Bas lui paraissaient faciles à conquérir.

La division linguistique de la Belgique, comme la déclaration de la neutralité de leur pays, favorisaient amplement ses desseins, puisque cette neutralité interdisait aux Belges de préparer une coordination avec les Alliés.

Les généraux de l'OKH reprirent donc le plan Schlieffen qu'ils connaissaient parfaitement et dont ils estimaient que Guillaume II et von Moltke n'avaient pas vraiment tiré partie. 





Plan  Schlieffen de 1905 - Les places fortes Françaises sont les surfaces en bleu-gris, les places fortes Allemandes sont colorées en vieux-rose. Les mouvements des armées Allemandes dessinent les flèches rouges. Cette représentation est parfois considérée comme erronée. Mais elle a le privilège d'une grande clarté.


Dans une vision hyper simplifiée, donc caricaturale, ce plan (version de 1905) visait à mettre le gros des armées Françaises entre une enclume, constituée des 6ème, 7ème et 8ème armées Allemandes (probablement placées en défensive après une courte avancée), et un marteau réunissant les 2ème, 3ème,4ème, 5ème armées. 

La 1ère armée Allemande servait - apparemment - de couverture contre d'éventuelles forces Alliées placées à l'Ouest. L'ampleur de son mouvement, de près de 800 km, devait paraître toutefois bien optimiste à un moment (même en 1914) où la motorisation était encore bien peu importante. 

Ce fut d'ailleurs cette première armée Allemande, commandée par von Kluck, qui fut battue sur la Marne grâce à l'intelligence pénétrante du maréchal Joseph Gallieni, qui eut l'immense mérite de voir, en premier, l'ouverture qui béait devant notre armée. Joffre, ensuite, n'eut qu'à exécuter, et il le fit bien.
Rappelons que, quelque soit le combat, entre deux individus ou entre deux armées, c'est toujours la perception rapide d'une ouverture dans les défenses adverses qui permet de gagner.
Le Führer connaissait bien les diverses variantes de ce plan et le refusa. 



Manstein renverse Schlieffen

En Novembre 1939 commença donc cette nouvelle phase : L'élaboration de l'offensive contre la France.

Le général Erich von Manstein, chef d'état-major de von Rundstedt (commandant du groupe d'armées A), convoqua Guderian à son QG : Son nouveau plan inversait le plan Schlieffen. Il proposait d'utiliser de puissantes forces blindées pour traverser rapidement le Luxembourg et la Wallonie pour atteindre Sedan et y percer la Ligne Maginot dite "prolongée". D'autres forces venaient initialement se positionner au Nord de la Belgique. 
Elles jouaient alors le rôle d'élément de diversion puis servaient ensuit d'enclume.

Il avait besoin de l'avis du meilleur expert Allemand en matière de chars pour être sûr que les Ardennes puissent être franchies rapidement.

Guderian était justement cet expert  et, après un examen minutieux des cartes, il vit que l'opération était tout à fait réalisable, à condition toutefois d'y employer toutes les unités blindées disponibles de la Wehrmacht.

A ce point de ce récit, il me faut souligner que le plan de von Manstein ne proposait, en quelque sorte, qu'un ouvre-boite pour percer la Ligne Maginot.

Le plan une fois mis au point, fut approuvé par le général von Rundstedt puis envoyé à l'OKH le 4  Décembre 1939.


La réception par l'OKH en fut, par contre, très négative, soit par conservatisme et admiration du plan Schlieffen (qui avait quand même sérieusement bousculé les armées Alliées en Août 1914), soit parce que les généraux de cet état major craignaient que la mise en route d'un tel plan pendant l'hiver 1939-1940 puisse donner aux Alliés des occasions de museler très rapidement la Wehrmacht (ce qui fut le cas de l'offensive von Rundstedt du 16 Décembre 1944).

Malheureusement pour nous, le 10 Janvier 1940, un officier de la Luftwaffe, porteur de la nouvelle mouture du plan Schlieffen et qui s'était égaré avec son avion (Bf 108 Taifun), fut obligé de se poser en Belgique. L'officier étant fait prisonnier, les documents qu'il transportait furent considérés comme tombés aux mains des Alliés (ce qui était bien le cas).

Le plan de l'OKH devait donc nécessairement être abandonné et Hitler poussa à l'adoption du plan Manstein, dont il était enfin informé.


Mise en place

Un Kriegspiel se tint donc à Coblence le 7 Février 1940. 

Guderian y proposa d'emblée "d'attaquer et de franchir la Meuse et de la franchir près de Sedan, le 5ème jour de la campagne, avec de puissantes forces blindées et motorisées, en se fixant pour objectif de réaliser une percée et d'élargir ensuite celle-ci en direction d'Amiens." 

Halder, chef d'état major général, trouvait cette idée absurde : Son nouveau plan impliquait bien d'arriver sur la Meuse, mais prudemment et, au mieux, vers le neuvième jour. 
Là, il aurait attendu l'arrivée de l'infanterie pour lancer une offensive 
"homogène" qu'il baptisait "attaque générale coordonnée". 

{Cela n'empêche pas certains auteurs de continuer à attribuer la victoire Allemande de Juin 1940 au général Halder, ce qui est, à l'évidence, une contre-vérité.}

Guderian riposta vivement "en soulignant qu'il s'agissait de faire intervenir au point décisif, par surprise et en la concentrant, la puissance de choc de tous les chars disponibles, puis d'articuler ce coin suffisamment en profondeur pour n'avoir pas à s'inquiéter des flancs." 
En cas de succès initial, l'exploitation (= conquête de la région protégée jusque là) pouvait alors commencer immédiatement sans tenir compte des divisions d'infanterie.

Les estimations de Guderian sur la médiocre valeur des fortifications frontalières Françaises de la zone de Sedan furent confirmées "par les études minutieuses du major von Stiotta , conseiller du Génie au Groupe d'Armées.
M. von Stiotta s'appuyait essentiellement sur une exploitation très précise des photos aériennes, c'est pourquoi on ne put réfuter ses arguments."


Le 14 Février, un nouveau Kriegspiel fut réalisé à Mayen devant Halder pour débattre du combat à mener pour réussir le franchissement de la Meuse. 

La première question était : Les divisions blindées devaient-elles alors franchir la Meuse par leur propres moyens ou devaient-elles plutôt être relevées par les unités d'Infanterie ?
Guderian et son collègue von Wietersheim déclarèrent que, dans ce dernier cas, ils n'accordaient aucune confiance dans la conduite de l'entreprise et qu'un emploi aussi stupide des chars ne manquerait pas de provoquer une crise du commandement.

La question du commandement des unités de Panzer fut particulièrement délicate. Le général von Kleist fut choisi au grand dam de l'auteur de ces mémoires qui lui reprochait de ne s'y être jamais intéressé jusque là.

Cependant, c'était bien le XIXème Corps d'Armée blindé de Guderian qui était chargé de l'attaque sur les Ardennes. 
Il commandait 3 divisions de Panzer (1ère, 2ème et 10ème), le régiment d'infanterie motorisée d'élite Gross Deutschland et nombre d'excellentes unités d'artillerie.


Une conférence des commandants d'armées impliqués dans cette offensive eut lieu le 15 Mars 1940 à Berlin, avec son nouveau supérieur von Kleist, et en présence d'Hitler.

Guderian y parla en dernier.

Il expliqua que ses troupes franchiraient la frontière du Luxembourg au jour J, avanceraient en trois colonnes vers Sedan par le Sud de la Belgique, passeraient la Semois le troisième jour, atteindraient la Meuse le quatrième jour et attaqueraient le cinquième jour pour établir une solide tête de pont sur ce fleuve.

Hitler lui posa alors la question fondamentale : "Et ensuite, que voulez-vous faire ?". 
Curieusement, cette question n'avait jamais été posé jusque là.

Guderian répondit : "En l'absence d'ordre contraire, je continuerai le lendemain ma poussée en direction de l'Ouest. 
Le Commandement suprême aura à décider s'il faut la mener vers Amiens ou vers Paris. 
A mon avis, la direction de poussée la plus efficace passe par Amiens jusqu'à la Manche."

Littéralement épuisé par l'âpreté des débats, il dût prendre du repos pendant la seconde moitié du mois de Mars.

Il souligne peu après dans ses mémoires qu'aucun autre ordre ne lui fut donné quant à la suite à donner au franchissement de la Meuse. 

Cette brillante intuition fut donc la sienne propre. 

Ceci est entièrement confirmé par l'excellent article de Many Souffan (in  Les Henschel 126 du 14 Mai 1940, Avions # 177, Sept. Oct. 2010, p. 26), je cite : "Ces quatre victoires du GC III/7 sont irréfutables de par la concordance entre les documents Français et les documents Allemands. Si tous ces HS 126 sont présents à ce moment-là, c'est parce que, sans en référer à ses supérieurs, Guderian à décidé de faire progresser son offensive vers l'Ouest, en direction de la Manche.  Les HS 126 lui permettent de connaître en temps réel la position de ses ennemis, la topographie, les difficultés à venir. Ce qui s'est passé ce 14 Mai entre 1200 et 1400  n'est que l'amorce du coup de faucille du plan Allemand, mis en place par la seule volonté de Guderian."

Guderian mit toute son ardeur à former ses généraux et ses officiers d'état-major à l'impressionnante mission qui les attendait.

Les choix tactiques du commandement Français le confortaient dans la justesse de ses options : "Expériences de la guerre de position, valeur éminente du feu, sous-estimation du mouvement."


Importance du renseignement - notamment aérien - dans l'élaboration du plan 


Guderian rajoute cette analyse : "Jusqu'au Printemps 1940, nous avions réussi, du côté Allemand, à nous renseigner clairement sur le dispositif ennemi  et sur ses fortifications

Nous savions qu'entre Montmédy et Sedan, la très puissante Ligne Maginot faisait place à un système bien plus faible
Nous nommions "Ligne Maginot prolongée" les ouvrages situés entre Sedan et la Manche.

Nous avions aussi reconnu le tracé et la puissance des fortifications Hollandaises et Belges. Elles étaient uniquement dirigées contre l'Allemagne.

Alors que la Ligne Maginot était faiblement occupée, le gros de l'armée Française, y compris les divisions blindées, et le corps expéditionnaire Britannique dans les Flandres Françaises, étaient concentrées entre la Meuse et la Manche, le front [tourné] au Nord-Est.

Par contre les troupes Belges et Hollandaises étaient articulées pour protéger leurs pays contre une attaque venue de l'Est.

Cette articulation des forces faisait conclure que l'ennemi comptait que les Allemands exécuteraient encore une fois le plan Schlieffen de 1914 et que le gros des armées Alliées était destiné à prévenir cet enveloppement en avançant à travers la Hollande et la Belgique.

 Autour de la charnière de ce mouvement vers la Belgique, on ne discernait la mise en place d'aucune couverture suffisante, sous la forme de réserves situées, par exemple, dans la région de Charleville ou de Verdun.
(...)
On pouvait déduire qu'un coup porté par surprise, droit au but, avec de puissants éléments blindés, par Sedan sur Amiens et la Manche, atteindrait en profondeur le flanc de l'adversaire engagé dans une avance à travers la Belgique (...). 
L'opération avait donc de fortes chances de réussir."



Du bon usage des bombardiers

Il est facile de comprendre que les photographies aériennes Allemandes avaient permis l'analyse des ouvrages défensifs Alliés et de savoir que la finition des ouvrages Français sur la Meuse était encore incomplète.

Guderian perfectionna alors sa coopération avec la Luftwaffe dont la partie précédente de cet article montre en quelle estime il la tenait et avec quelle confiance il en avait utilisé les renseignements. 

Il en invita les deux généraux responsables (von Stutterheim pour l'aviation d'appui au sol et Loerzer pour le corps aérien) à assister à un Kriegspiel avec son propre état-major et participa lui-même à un Kriegspiel de la Luftwaffe dirigé par Loerzer.

Là, ils convinrent "d'un commun accord, d'étendre l'intervention de l'aviation à toute la durée du franchissement au lieu de faire exécuter un coup unique et concentré par les bombardiers et les Stukas.

Par des attaques répétées et des menaces d'attaques, nous voulions paralyser, dès le début de l'entreprise, les batteries ennemies (...).

Cependant, deux jour après avoir commencé son offensive, Guderian fut convoqué au QG de von Kleist pour y recevoir l'ordre de franchir la Meuse dans la foulée de son attaque sur Sedan, ce qui était dans l'esprit même de son attaque.

Par contre, à la suite d'une intervention du général Sperrle, de la Luftwaffe, von Kleist informa Guderian que l'établissement de la tête de pont sur la rive gauche de la Meuse serait précédé par un puissant mais unique bombardement.

Le chef du XIXème corps d'armée blindé n'arriva pas à faire rapporter cet ordre. 

Le 13 Mai, à 16:00, l'attaque sur la Meuse commença. 

Les aviateurs Allemands commencèrent leur intervention, mais, à la grande surprise de Guderian, ils procédèrent comme cela avait été décidé lors du Kriegspiel de la Luftwaffe dirigé par Loerzer. 

En fait, cette action aérienne brillante fut maintenue par Loerzer lui-même qui bloqua la transmission de l'ordre de Sperrle aux unités de bombardiers et de Stukas.

L'artillerie Française, dépourvue de couverture aérienne digne de ce nom, et qui n'avait jamais été entraînée à travailler sous la menace des bombardiers, fut incapable de jouer son rôle.
En conséquence, la percée de Guderian fut une grande réussite qu'une exploitation aussi rapide qu'instantanée lui permit de transformer en victoire éclatante.



Pour tous ceux qui veulent une vision plus globale sur l'attaque Allemande et les réactions Françaises, le premier commentaire sur le présent article (de Mr Dalot) est une synthèse saisissante dont je vous conseille la lecture.



Conclusions


La réussite du plan de Guderian et de Manstein reposa sur beaucoup de facteurs qui concernèrent les deux parties.

1 - Pour les Allemands :
  • Il allait de soi que la diversion Allemande vers les Pays Bas crédibilisait l'intuition de Gamelin que la France serait attaquée par une nouveau plan Schlieffen. La pression hystérique Britannique à propos du port d'Anvers renforçait encore cette impression.
  • Le général Guderian avait passé une partie du début de sa vie militaire dans la Lorraine annexée (en 1871). Il connaissait donc très bien la topographie de la région entière. Son attaque par les Ardennes, avec 3 divisions de Panzers parue faible à Gamelin, alors qu'elle portait tout le poids de l'attaque car ses hommes - qui disposaient d'un millier de chars - étaient remarquablement entraînés à surmonter toutes les situations critiques et que son infanterie motorisée était une troupe d'élite.
  • L'entraînement avait beaucoup porté sur la rapidité d'exécution des ordres et sur la fiabilité des éléments blindés qui devaient pouvoir être rapidement réparés en cas de panne. Quand une attaque était programmée pour 16:00, elle commençait à cette heure précise, même si plusieurs armes différentes devaient y contribuer simultanément.

2 - Pour les Alliés : 
  • Je n'ai connaissance d'aucun exercice commun entre les troupes Britanniques et Françaises. Il était alors difficile d'imaginer un bon travail d'ensemble.
  • L'état-major Français appliqua mécaniquement le plan Dyle-Breda en y apportant une grande diligence (Breda étant atteint par nos troupes pendant la nuit du 10 au 11 Mai) : la VIIème armée de Giraud, la plus puissante des armées Alliées, avec sa 1ère DLM et ses 2 divisions d'infanterie motorisée, fut envoyée dans ce qui se révéla être, littéralement, une nasse qui absorba toute sa force d'impact, comme celle de la 1ère Armée Française, plus au Sud-Est, le tout se terminant par la Bataille de Dunkerque où nous perdîmes de l'ordre de 10 000 morts et 35 000 prisonniers.
  • Les divers chefs d'armées terrestres Françaises se refusèrent de croire leurs observateurs aériens et envoyèrent les faibles effectifs de nos forces aériennes d'assaut se perdre dans des opérations sans aucun intérêt (en Zélande ou à Tongres par exemple).
  • Les chefs du bombardement de nuit Français acceptèrent d'envoyer sur l'Allemagne des bombardiers chargés de tracts (!). Une telle attitude pouvait, à l'extrême rigueur, se comprendre pendant la Drôle de Guerre. De mon point de vue, elle était inacceptable dès lors que l'offensive Allemande avait commencé. Pendant ce temps-là, ces avions et leurs excellents équipages étaient, bien sûr, indisponibles pour répondre à un éventuel besoin de porter des coups en cas d'offensive Germanique ! 



Document de l'auteur - vue très simplifiée de la manœuvre Dyle-Breda - en rouge plein : les troupes Françaises et Britanniques au départ - en rouge pointillé gras : Les mêmes à l'arrivée (supposée)



3 - Plus particulièrement pour les Français :

La lecture des témoins Français de la Campagne de France montre deux phénomènes apparemment contradictoires :
  • La difficulté de synchroniser de nombreuses unités pour lancer une attaque à un moment précis a entraîné un manque de confiance réciproque entre les divers acteurs. Il ne peut s'agir que d'un problème d'entraînement.
  • Les "tirs amis" existent dans tous les conflits armés et dans tous les camps. Dans certains cas, ils découlent d'une mauvaise identification du matériel aggravée par le stress induit par le combat. Cette mauvaise identification est favorisée en cas d'entraînements insuffisants. Cependant, certains ordres Français bien trop rigides ont induit des pertes sévères qui ont favorisé l'avancée de l'ennemi, comme par exemple ceux qui empêchèrent des unités qui tenaient les rives Nord de la Basse Seine de traverser le fleuve à temps pour éviter d'être fait prisonnières et continuer de frapper les éléments avancés de la VIIème Panzer de Rommel.                                                          En fait, cela traduisait une très mauvaise formation et un très mauvais entraînement généralisé : Nous avions perdu beaucoup trop de cadres de très grande valeur entre 1914 et 1918. Parmi ceux qui restaient, une partie non négligeable ne croyaient pas aux valeurs de l'offensive et de la manœuvre.  

Cependant, le général Guderian ne reconnait qu'un seul véritable souci pendant son offensive entre le Luxembourg et Amiens : "Les jours suivants, De Gaulle nous demeura fidèle et réussit le 19 Mai à faire irruption avec quelques chars jusqu'à 2 kilomètres de mon P.C. avancé dans la forêt d'Holnon et qui n'était protégé que par quelques pièces antiaériennes de 20. Je vécu quelques heures d'inquiétude jusqu'à ce que ces menaçants visiteurs eussent fait demi-tour."










dimanche 27 août 2017

Georges Guynemer et René Fonck, deux immenses figures de la Chasse Française (Révisé le 04 / 02 / 2024)



{Sources : Icare #122, Guynemer, publié à l'occasion du 70ème anniversaire de sa disparition ; L'Aérophile, de 1917 à 1921 ; L'Aéronautique, de 1919 à 1921.}



Georges Guynemer a disparu il y a cent ans, le 11 Septembre 2017, 14 mois avant la Victoire

La Grande Guerre est imprimé profondément dans ma mémoire à cause des innombrables récits de mon père et de mon grand père maternel
Comme, parallèlement, l'Aviation est une de mes grandes passions, Guynemer est, tout naturellement, un homme que j'admire profondément.

As  adulé de toute la Chasse Française, il promettait, s'il avait vécu, de devenir un extraordinaire ingénieur, en plus d'être un excellent pilote et un guerrier de légende.

Son acharnement dans les combats fut payé par le grand nombre de projectiles ennemis retrouvés dans ses avions, par le fait qu'il fut descendu une dizaine de fois... et finalement par sa mort.

L'Ecole de l'Air a gardé sa magnifique devise "Faire Face" qui, loin d'être une devise de haine, devrait être la devise de l'Armée Française dans son ensemble (et, pourquoi pas, de tous nos gouvernants).


Les médias de l'époque ont opposé Guynemer à Fonck. Mon Grand-Père m'avait répété que Guynemer revenait avec des avions criblés de balles, tandis que Fonck revenait toujours avec des avions intacts.

D'Harcourt résuma sa vision ainsi dans Icare : "Guynemer c'était la fougue, Fonck, c'était la technique."
Le président Paul Painlevé, lui, avait dit : "Entre une telle tactique [celle de Fonck] et celle de Guynemer, la différence est la même qu'entre une escrime serrée au fleuret et l'escrime au sabre."

C'était sans doute une apparence. J'espère vous convaincre que ces formules ne correspondent pas exactement à la réalité. 

Nos deux as étaient extrêmement intelligents et excellent tacticiens. 

Tous deux ont démontré des progrès foudroyants dans leur capacités de pilotage et de combat, dans l'appréhension technique de leurs avions et tous deux ont montré un courage surhumain.





Georges Guynemer : Le Guerrier !


Les Français ont adoré Guynemer entre le début de 1916 et la fin de la Grande Guerre. 

Aujourd'hui encore, il reste l'exemple type du pilote de Chasse pour ses lointains successeurs de l'Armée de l'Air.

Il a disparu, parce que, après sa mort, ni son corps ni son avion ne sont restés accessibles, très certainement détruits par les bombardements d'artillerie Alliés.
En outre, les versions de sa mort, qu'elles soient Allemandes ou Américaines, divergent un tantinet. 

N'étant pas médecin légiste, cette partie-là ne m'intéresse que moyennement (même si je préférerais que son corps soit retrouvé et enfin à sa vraie place, au Panthéon), je ne m'y étendrais pas davantage.

Une chose est sûre en tout cas : Guynemer fut réellement un extraordinaire soldat. Il aurait voulu être polytechnicien... le sort ne le lui permit pas. 
Les écrits ne sont pas clairs là-dessus, mais cela devait venir de son poids de 48 kg (pour une taille d'1.73 m) considéré comme incompatible avec le métier des armes ! 
Mieux vaut ne pas commenter une décision de la sorte : Tous les guerriers ne sont pas obligés de manier l'épée à deux mains ou de porter une mitrailleuse de 20 kg !

Le grand ingénieur Louis Béchereau, en tout cas, qui conférait fraternellement avec Georges au point de lui construire le Spad XII en suivant ses concepts, le voyait comme un ingénieur particulièrement prometteur...


Refusé par l'Armée à la déclaration de Guerre pour cause d'aspect maladif (!), Guynemer y entre quand même en contournant le règlement (donc illégalement !). 

A cette époque, heureusement, les chefs militaires savaient toute la vanité d'un règlement et savait le surmonter (hélas, il n'en ira pas de même en 1940). 

"Sa guerre" a donc commencé le 21 Novembre 1914 comme élève-mécanicien d'Aviation, mais son aspect fragile - associé à son verbe très rare - avaient entraîné une (trop) longue période de bizutage... 

Le 23 Décembre 1914, il envoya une lettre au ministre de la guerre pour pouvoir entrer à l'école de pilotage de Pau. 
Cette lettre était assortie de l'avis motivé et très favorable du capitaine Bernard-Thierry, commandant de l'école de Pau : "Très bon jeune soldat. Extrêmement sérieux ; Sera certainement parfaitement à sa place comme élève-pilote. Très intelligent - A une instruction très développée - Apte à recevoir avec fruit l'instruction d'élève-pilote. Engagé volontaire pour la guerre."

{Parenthèse I : On ne peut qu'admirer la pénétrante intelligence du capitaine Bernard-Thierry, qui souligne à la fois la volonté d'en découdre de Guynemer, son extrême intelligence et son sérieux, c'est à dire son immense capacité de travail : 
Il nous a bien fourni un as de légende.}

Le 21 Janvier 1915, il devint élève-pilote, et passa sur rouleur Blériot le 1er Février suivant. 

Elève du grand Paul Tarascon (futur as aux 12 victoires), il a réussi son premier vol le 17 Février et reçu son brevet de l'Aéro-club de France le 11 Mars, à peine plus de trois semaines plus tard                                                                                                                                                                                                 
Le brevet militaire lui fut accordé le 26 Avril à Avord. 

Il devint caporal le 8 Mai. A noter qu'à ce moment-là, les atterrissages lui provoquaient encore quelques appréhensions.

Georges Guynemer est alors désigné pour l'escadrille MS 3, équipée d'avions Morane-Saulnier parasols de type L, le 9 Juin 1915.





Document original de l'auteur - Le Morane-Saulnier parasol type L - 16 cables créaient le gauchissement de la voilure (donc la mise en virage de l'avion) : Pour chaque aile, 4 pour l'extrados, 4 pour l'intrados. Cela imposait un dispositif complexe - que l'on devine au dessus -  générateur de traînée.



Védrines raconta que les débuts du futur as ne furent pas vraiment  brillants puisque, lors de ses deux premiers vols devant le capitaine Brocard, il "cassa" ses avions à l'atterrissage (mais rien n'indique que les dommages aient été vraiment importants). 

Brocard voulait le jeter dehors, mais Védrines avait compris que cette nervosité était liée à la volonté de trop bien faire et réussit à obtenir de s'en occuper.

Il commença par le priver de vol pendant une semaine (pour augmenter son désir de vol, sans doute) puis lui permit de voler avec lui, en position de coéquipier. 
Cela régla instantanément le problème.

Guynemer obtint sa première victoire le 19 Juillet, ce qui lui vallu, quelques jours plus tard, de passer sergent et d'obtenir la Croix de Guerre puis la Médaille Militaire.

A ce moment, son chef d'escadrille, le capitaine Brocard, écrivit cette appréciation : "Très jeune soldat, très jeune pilote. Son extrême confiance en soi, et ses qualités d'audace et d'insouciance, jointes à de réelles aptitudes, en feront vite un très bon soldat et un excellent pilote."


Je ne suis pas convaincu que Guynemer ait été si insouciant que Brocard le laissait entendre... Rien, dans ce que j'ai lu, ne m'a convaincu qu'il ait pu être une tête brûlée, loin de là.


Guynemer participa deux fois à des missions spéciales, la spécialité de Védrines, qui consistaient à déposer ou à récupérer un agent Français dans les profondeurs du territoire contrôlé par l'ennemi. 

Après avoir menée deux de ces missions à bien, il n'en fit plus aucune par la suite : Il préférait nettement la Chasse. 


Le 5 Décembre 1915, à bord d'un sesquiplan Nieuport 10 monoplace (désigné aussi 18 m, eu égard à sa surface alaire), il réussit à abattre un second avion ennemi, puis un troisième le 8 et un quatrième le 14. 

Pour ses deux dernières victoires, Georges devait probablement déjà disposer d'un Bébé Nieuport, ce qui lui permit de terminer l'année 1915 avec 4 victoires homologuées

Il fut fait Chevalier de la Légion d'Honneur le 24 Décembre 1915.

Trois nouvelles victoires s'ajoutèrent à son palmarès en début de Février 1916. 

Le 4 Mars 1916, Georges Guynemer passa enfin sous-lieutenant. 

Le 12 Mars, il descendit un avion ennemi près de Compiègne, pendant le vol qui le conduisait à Verdun : Il était riche de 7 victoires officielles. 

Les Allemands, inquiets de l'arrivée d'un nouvel avion de chasse très dangereux et désireux d'éviter l'échec de leur aviation pendant une offensive décisive, avaient très logiquement rameuté sur Verdun les escadrilles de Fokker E III disponibles (voir l'article sur le Bébé Nieuport, où j'introduis aussi ce Fokker), pour profiter de la faiblesse provisoire de nos effectifs de Chasse. 

Le résultat ne se fit pas attendre : Quatre pilotes de l'escadrille furent tués, Navarre et Brocard furent blessés.

Les pilotes ennemis, très expérimentés, en totale confiance, tiraient bien, ce qui explique que l'avion de Guynemer ait été descendu (120 impacts dans son avion). 
Peu après, il reçut encore deux balles dans le bras gauche... 


La lutte ne reposait plus que sur 4 pilotes de la N 3 : Bucquet, Deullin, Chaînat et Védrines.
Cependant, le talent de pilote de Georges avait donc progressé puisqu'il pouvait se poser maintenant même dans des conditions catastrophiques.

Son palmarès s'était étoffé, mais il avait encore des choses à apprendre sur le plan des tactiques de la Chasse.


Pour "reposer"  la N3, on l'envoya le 16 Mai 1916 à Cachy, dans la Somme, à une vingtaine de kilomètres au Sud-Ouest d'Amiens.

En effet, Joffre avait préparé, fin 1915, une offensive qu'il espérait décisive sur la Somme, plan qui avait été modifié par l'attaque Allemande sur Verdun.

Il faut dire que les Britanniques, après une catastrophique gestion par les Alliés de l'espace Méditerranéen en 1914 face aux puissances Germaniques (attaque de ports Algériens par le Goeben et le Breslau puis fuite vers la Turquie) n'avaient rien trouvé de mieux que d'envoyer plus de 500 000 hommes débarquer sur les côtes Turques des Dardanelles (à Gallipoli). 

Cela ne servit à rien d'autre qu'à faire tuer des soldats alliés et à renforcer le prestige de l'Allemagne en Turquie... 
C'est une des rares fautes stratégiques de Winston Churchill, alors premier Lord de l'Amirauté.

L'offensive de la Somme devint donc une offensive majoritairement Britannique (420 000 soldats) à participation Française (200 000 soldats). 

Joffre, pour aider ces nouvelles troupes Britanniques, encore peu aguerries, donna le commandement des opérations Alliées au général Foch et plaça l'excellent général (futur Maréchal) Marie-Emile Fayolle  et sa 6ème Armée à la charnière avec les troupes Britanniques.

Il y envoya aussi ses meilleures escadrilles de Chasse pour assurer la maîtrise de l'Air sur ce champ de bataille. 

A Cachy, l'escadrille N3 fut donc associée à trois autres unités au sein du Groupe de Combat 12, chacune de ces escadrilles étant distinguée par un insigne de cigogne.  


{Parenthèse I - Bataille de la Somme : Chaque fois que, de nos jours, vous entendez parler d'elle, vous recevez le message bien pensant de nos médias sur l'inutilité de la guerre de 1914-1918 et sur ses massacres sanglants. 

Ce message a été initialement écrit et développé par les services Allemands à la conclusion de cette Bataille, après que l'Empire de Guillaume II y ait perdu beaucoup d'hommes. 

Ce même message fut réutilisé avec succès par les services du Dr Goebbels pour démoraliser les Alliés et eut pour principal impact d'amener la signature de l'accord scélérat de Munich qui nous priva du plus puissant de nos alliés, la TchécoSlovaquie, en 1939.
Il joua donc un rôle capital dans notre cinglante défaite. 



En réalité, la Bataille de la Somme, déclenchée le 1er Juillet 1916, fut remarquablement bien conçue et joua un rôle décisif sur toute la suite des opérations, affaiblissant considérablement l'ennemi.

L'attaque des troupes Françaises fut parfaitement exécutée dès le premier jour

Elles firent 12 000 prisonniers Allemands et avancèrent de 10 km au prix de 1 590 tués. 

Il est vrai que la consigne aberrante de l'état-major Britannique d'avancer au pas vers les lignes Allemandes (sous le feu des mitrailleuses !) - pour éviter une hypothétique perte de cohésion entre les hommes - causa la perte de 57 000 soldats dont 19 200 morts pendant la première journée (dont 8 000 pendant les 6 premières minutes).

Pourtant, cette anomalie n'avait duré qu'une demi-journée.

Si, quatre mois plus tard, les pertes totales Alliées approchaient les 500 000 hommes, les pertes Allemandes avoisinant plutôt les 680 000 hommes. 

La puissance Alliée ayant désorganisé le Front Allemand, cela amena l'ennemi à déclencher sa guerre sous-marine à outrance qui eut pour résultat de provoquer l'intervention Américaine.

Par ailleurs, les maréchaux Allemands décidèrent de créer de nouvelles lignes de défense très en arrière (pour raccourcir le front et récupérer des réserves) et qui, moins bien conçues, ne purent s'opposer aux ultimes contre-attaques Alliées de 1918 qui aboutirent à la Victoire.


Les pacifistes, qu'ils soient de 1914 ou de 1939, auraient sans doute préféré que notre pays soit abandonné au pouvoir des Allemands. 
C'est totalement incompatible avec toute revendication de Démocratie. 

La guerre n'a rien de réjouissant, elle est toujours catastrophique et c'est mon seul point d'accord avec eux. 

Par contre, lorsqu'une armée étrangère vient porter les armes contre nous, nous devons tout faire pour la détruire.}



Guynemer va obtenir une victoire le 22 Juin 1916, puis deux autres en Juillet (le 16 et le 28), suivies de 4 autres en Août, la 14ème, le 20 Août, étant sa dernière victoire sur BB Nieuport.

Car le 27 Août, le Spad VII était devenu son chasseur : Guynemer avait reçut le 3ème exemplaire de cet avion. 

Aussitôt, il monta aussitôt à 3 000 m en 9 minutes, fit plusieurs renversements sans que le moteur n'ait manifesté aucun trouble, ce qui n'était apparemment pas le cas des moteurs rotatifs.

Mais il avait repéré des points qu'il fallait modifier d'urgence au niveau du radiateur qui fuyait et au niveau de l'éjection des douilles.

Peu après, la N 3 allait être entièrement équipée du nouveau chasseur et devenir la Spa 3.

Le SPAD VII


Le très manœuvrant Bébé Nieuport 17 manquait un peu de vitesse face à l'Albatros D III (165 km/h contre 175 km/h), et, à part pour les très bons tireurs, il manquait de puissance de feu.

Il fut donc remplacé par le tout nouveau Spad VII, équipé initialement d'un moteur Hispano-Suiza de 8 cylindres en V développant 150 Cv. 

C'était un petit avion de 6.08 m de long qui pesait 510 kg à vide et 740 kg au décollage.

La voilure, de 7.85 m d'envergure avait une surface de 17.85 m² dont la charge alaire dépassait de peu les 40 kg/m².





Document personnel de l'auteur - Le Spad VII, probablement à l'état de prototype. La photo a été largement retouchée par la censure.



















Ce nouveau chasseur volait à 192 km/h au niveau de la mer (Fonck ne lui accorde que 180 km/h), montait à 2 000 m en 4' 30" (presque 2 fois plus vite que le BB Nieuport) et pouvait piquer jusqu'à 400 km/h, performance inimaginable pour ses concurrents.

Par ailleurs, il se révéla instantanément comme une excellente plate-forme de tir. 

L'arrivée de ce chasseur dans les escadrilles fut retardé par quelques maladies de jeunesse, mais aussi parce qu'il modifiait totalement les habitudes des pilotes, jusqu'alors habitués à piloter des BB Nieuport, exceptionnellement agiles.


Depuis qu'Internet existe, le Spad VII traîne une réputation de mauvaise maniabilité. 
Cette réputation est - à mon avis - non fondée. 

  • Elle repose d'abord sur la différence considérable entre les avions de ce type fabriqués en France et ceux fabriqués en Grande-Bretagne, bien plus lourds et moins bien profilés (probablement parce que les tolérances Britanniques étaient trop laxistes). 
  • Ensuite, le Spad étant nettement plus rapide que ses concurrents, ses pilotes entraient dans des zones de vitesse où les gouvernes faisaient face à des contraintes aérodynamiques plus puissantes : Elles donc répondaient moins instantanément (la compensation aérodynamique des gouvernes, inventée par l'Allemand Flettner, ne fut connue en France qu'après la guerre).
  • Mais, lorsque Armand Pinsard (27 victoires), très habitué au moteur rotatif, découvrit le vol en Spad VII, il découvrit aussi les joies d'un looping débarrassé des influences perturbatrices du moteur rotatif. Il écrivit à Béchereau, le 8 Septembre 1916 : "Je vous annonce que votre appareil est très souple dans les loopings et que je ne fais plus de Chasse sans looper". 

Cela signifie que la maniabilité verticale de cet avion était remarquable, certainement supérieure à celle du BB Nieuport 11 ou 17, ce qui compte beaucoup en combat aérien.

Enfin, un certain nombre d'as Français et étrangers adorèrent le Spad : A part Fonck et Guynemer, Francesco Baracca (Italie, 34 victoires) mort stupidement pour mitrailler les troupes ennemies au ras du sol à cause d'un décideur inconscient, Eddie Rickenbecker (USA, 26 victoires) et Alexander "Jerry" Pentland (Australie, 23 victoires).


Le Spad s'accordait parfaitement à la personnalité de Georges Guynemer. 

Il avait déclaré : "Ce n'est pas avec des évolutions que l'on tue le Boche. On le tue en tirant dessus le plus fort et le plus juste possible." 

Effectivement, entre le 1er Janvier et le 26 Août 1916, Guynemer, sur BB Nieuport 11 puis 17, avait abattu 1avions, soit 1.25 avion par mois.

Pour les 4 mois compris entre le 1er Septembre et le 31 Décembre 1916, il avait abattu 11 avions Allemands, ce qui correspondait à plus de 2 avions par mois. Cette progression montrait que le Spad lui était plus adapté que le Nieuport.

Pendant les huit mois et onze jours que Guynemer allait encore vivre en 1917, il abattit 26 avions ennemis, soit plus de 3 avions par mois.

La capacité de pilotage de combat de Guynemer avait donc encore progressé nettement comme elle est parfaitement décrite dans le texte où Ernst Udet raconte son combat contre Guynemer (qui semble avoir eu lieu en Juin 1917) : 

"L'escadrille 15, issue du groupe de chasse Habsheim, est maintenant réduite à 4 appareils pilotés par trois sergents et moi-même, leur leader. 
Nous volons presque toujours seuls : C'est la seule manière d'accomplir notre service. 

Une grande activité ennemie se fait sentir sur le front : L'ennemi doit préparer une offensive. Chaque jour, des saucisses apparaissent dans le ciel d’Été comme de longues colonnes de nuages ventrus. 

Si l'un d'entre eux éclatait, les autres seraient rappelés au solJe décolle donc tôt le matin, afin d'avoir le soleil dans le dos pour foncer sur une saucisse. 

Je vole très haut, plus que je ne l'ai jamais fait jusqu'à ce jour. L'altimètre affiche 5.000 mètres et l'air, léger, est glacial. Sous moi, le sol semble un gigantesque aquarium. 
Vers Lierval, là où tomba mon camarade Rheinhold, une cage à poule ennemie avance lentement, un peu comme une daphnie. 

Un point approche rapidement, il vient de l'Ouest. D'abord petit et noir, il grossit rapidement. C'est un Spad, appareil de Chasse ennemi. Comme moi, son pilote est seul et cherche une proie. Je me recule sur mon siège pour être plus confortable : Il va y avoir de la bagarre !

A la même hauteur, nous fonçons l'un vers l'autre, nous nous croisons de tout près. Nous tournons vers la gauche. L'appareil de l'autre, brun clair, brille au soleil. 

Puis nous commençons à tourner l'un autour de l'autre. 

D'en bas, nous devons ressembler à deux oiseaux de proie s'adonnant à l'amour, mais là, c'est un ballet de la mort : Le premiequi tourne le dos à son adversaire est perdu. Car le pilote d'un monoplace ne peut se servir de sa mitrailleuse fixe qu'en tirant devant lui.

Nous sommes parfois si près l'un de l'autre qu'il m'est possible de discerner nettement son visage allongé et pâle sous le casque de cuir. 

Sur le fuselage, entre les plans antérieurs et postérieurs, je peux lire un mot en lettres noires. Alors que, pour la cinquième fois, il m'effleure presque - il est si près que les tourbillons causés par son hélice me secouent - je puis reconnaître le mot Français "Vieux", élément de la marque de Guynemer. 

Oui, il n'y en a qu'un qui puisse voler comme cela sur ce front ! 

Guynemer, qui a déjà abattu trente Allemands, Guynemer qui chasse toujours seul, comme tous ces mortels prédateurs qui descendent du soleil, foncent sur l'adversaire, le descendent et disparaissent en quelques secondes.

C'est donc un combat à mort. 

J'opère un demi-looping pour pouvoir piquer sur lui. Il a tout de suite compris et fait la même manœuvre. 
Une fois, il réussit à me surprendre au moment où je termine un virage. Aussitôt, ses balles crèvent le plan droit et frappent les haubans qui rendent un son clair. 
Je fais ce que je peux : Virages serrés, renversements, glissades : En un éclair, il a saisi et paré chacun de mes mouvements. 
Chaque fois, je constate combien il m'est supérieur.

Non seulement sa machine est meilleure, mais l'homme qui est aux commandes est plus fort que moi. Mais je continue à me battre.

Encore un virage. Il se trouve tout à coup dans mon viseur, je presse le bouton de tir... La mitrailleuse reste silencieuse... enrayée ! J'étreins le manche à balai de la main gauche, et, de la droite, je tente de désenrayer. En vain.  

Un instant, je songe à fuir en piqué, mais c'est sans espoir avec un tel adversaire : Il serait instantanément à mes trousses et me descendrait facilement. 

Nous continuons à tourner. Quel vol extraordinaire... si le prix à payer n'en était pas aussi exorbitant ! Jamais encore, je n'ai fait face à un aussi fin tacticien. 
Pendant quelques secondes, j'oublie complètement que ce pilote est Guynemer, mon pire ennemi. 
Il me semble même que c'est un camarade avec lequel je fais quelques exercices sur notre aérodrome. Mais cela ne dure que quelques secondes. 

Pendant 8 minutes, nous nous tournons l'un autour de l'autre, les plus longues minutes de ma vie.

A un moment, il passe juste au-dessus de moi, en volant sur le dos. 
Abandonnant un instant le manche, je tambourine sur ma mitrailleuse des deux mains. 
C'est un moyen primitif, il est vrai, mais, parfois, ça marche

D'en haut, Guynemer a vu ces mouvements, il doit les avoir vus, et il sait maintenant ce qui m'arrive et que je suis une proie inoffensive.
De nouveau, il passe, presque sur le dos, très près au-dessus de moi. Alors se produit un miracle : il sort sa main, me fait un petit salut, très léger, et pique rapidement vers ses lignes. 

Je retourne à la maison. Je suis bouleversé.

Certaines personnes disent que Guynemer a subi lui aussi un enrayage de mitrailleuse. D'autres prétendent qu'il a craint que, de désespoir, je ne l'éperonne en l'air. 
Mais je ne les crois pas. Je crois plutôt qu'aujourd'hui encore, il est resté un peu de cet héroïsme chevaleresque de l'ancien temps.

C'est pourquoi je dépose tardivement cette couronne sur la tombe inconnue de Guynemer."
{traduction libre de l'auteur}
                                                                                                                                                  {Analyse Critique de la Source : A ma connaissance, ce texte a été publié en 1935. A cette époque, Ernst Udet venait d'entrer en tant qu'expert aéronautique au ReichLuft Ministerium. Il était protégé par Hermann Goering et faisait maintenant parti du NSDAP, le parti d'Hitler. Ce texte pourrait donc être vu comme un texte politique destiné à séduire les pilotes Français.
Il est cependant totalement cohérent avec les descriptions Françaises de l'art du pilotage de Guynemer à l’Été 1917, donc je le juge sincère.

Je pense que Udet interprétait parfaitement la pensée de notre as à l'issu d'un combat très intense. 
Un autre as Allemand (Theo Osterkamp) a rapporté le même comportement de notre héros.

Ce témoignage démontre que, en 1917, Guynemer pilotait magnifiquement. 

Lorsque Georges disparut, il avait obtenu 53 victoires homologuées, ce qui signifie que ses victimes étaient tombées dans les lignes Françaises ou que leur chute jusqu'au sol avait été attestée par 3 témoins indépendants (les conditions d'homologation Française, inventées par Brocard, étaient - de loin - les plus sévères au monde). 

On lui accorde en général une trentaine de victoires supplémentaires, qui correspondent à des victoires acquises à l'intérieur du dispositif ennemi. Une bonne partie d'entre elles furent obtenues sur BB Nieuport

Vu son caractère, il est impossible d'imaginer qu'il se soit attribué des victoires non fondées.
Donc, de mon point de vue, Guynemer a bien atteint le cap de 80 victoires.                                                                                                                   
D'un autre côté, il avait aussi une vision du monde qui lui interdisait toute jalousie. Il a donc livré des opinions positives sur tous ses camarades. 

Il admirait la faculté de manœuvre de Dorme qui revenait, le plus souvent, sans avoir été touché. 

Guynemer ne connut René Fonck que quelques mois avant sa mort. On ne peut que regretter que la disparition de Georges leur ait interdit de grandes initiatives communes pendant et, surtout, après la guerre.
                  


René Fonck 

{Source principale : Mes combats, René Fonck, 1920}


Né dans les Vosges dans un milieu modeste, sa jeunesse fut très fortement marquée par l'injuste Annexion de l'Alsace-Lorraine par Bismarck en 1871. 

Apprenti-mécanicien à partir de 13 ans, les événements qui suivirent montrèrent qu'il avait été remarquablement formé. 

Le 22 Août 1914, appelé sous les drapeaux et bien que d'emblée versé dans l'Aviation, il fut pourtant envoyé dans le Génie pour creuser des tranchées, réparer des ponts, etc. Cela dura 5 mois...

Refusant "faire la taupe au fond des trous", Fonck finit quand même par entrer comme élève-pilote, d'abord à Saint-Cyr, puis à Lyon, dont il critiqua l'enseignement trop abstrait, sans aucun élément concret auquel un jeune esprit pourrait s'accrocher : "Je n'aime pas cette méthode surannée qui permet à l'instructeur de décrire un appareil sans l'avoir devant lui, d'expliquer les organes d'un moteur sans en tenir en mains tous les éléments."

Enfin, il arriva à l'école Caudron du Crotoy.

Le 1er Avril 1915, il commença par faire du rouleur, engin un peu barbare mais qui donnait aux futurs pilotes la maîtrise des commandes de l'avion et les entraînait parfaitement aux deux phases les plus dangereuses du vol : Le Décollage et l'Atterrissage.

Deux jours plus tard, cette étape était réussie. 

Son instructeur, Fileux, l'emmèna alors voler en double commande autour de la Baie de Somme et lui signala les points dangereux, au dessus des falaises et des dunes, créateurs de remous invisibles.
Il le mit aussi en garde contre "les souffles puissants venus de l'Atlantique et de la mer du Nord."       

Presque aussitôt lâché sur Caudron G 3 de seulement 60 Cv, Fonck sentit monter sa maîtrise du pilotage de vol en vol. Cela lui occasionna une immense joie.

Le 16 Avril, après être monté à 800 m, il arrêta son moteur pour se poser, hélice calée, sur un point fixé d'avance. 

Ensuite, il vola deux fois pendant plus d'une heure à 2 000 m d'altitude. Puis il réalisa deux navigations importantes qui lui assurèrent son brevet de pilote. 

Il fut immédiatement envoyé en opération dans les Vosges car les pilotes étaient encore trop rares. 

Dès sa première sortie, il croisa un Allemand qui ne s'intéressa pas à lui. La peur rétrospective qu'il a éprouvé l'amena à ne plus jamais voler sans arme.


Ses missions de reconnaissance comme celles de réglage des tirs d'artillerie lui valurent de nombreux contacts avec les tirs anti-aériens : "Je connus, pour la première fois, la difficulté du vol quand l'équilibre est compromis par des déchirures multiples.

Quelques mois plus tard, une de ses ailes fut traversée par un obus de 77 mm Allemand qui y cassa deux nervures.

Fonck explique alors : "Ce sont les premières rafales les plus dangereuses, après, on suit la pensée de l'artilleur, on devine la correction qu'il va faire et c'est facile à éviter."

C'est peu après que Fonck a décroché sa première victoire homologuée : Il avait obligé un Rumpler à se poser, faisant ainsi prisonniers deux officiers Allemands...

Un peu plus tard, pour sauver son camarade d'escadrille, il s'attaqua à 3 chasseurs Albatros et en descendit un.

Cela lui valu d'être directement envoyé au GC 12. Il était temps...

Au mois de Juillet 1917, les Cigognes venaient d'arriver dans les Flandres. 

Les Allemands venaient d'introduire une nouvelle tactique : Ils se déplaçaient en groupes importants de huit ou dix chasseurs entraînés à manœuvrer ensemble.

Le grand Dorme (23 victoires homologuées) finit par tomber devant ces adversaires parfaitement organisés.

Ce décès sonnait la fin des chasseurs solitaires.


René Fonck réunit alors un groupe de 6 ou 7 jeunes pilotes de bonne volonté pour les former à l'attaque des saucisses d'observation Allemandes : 
"Mon groupe acquit ainsi très vite une grande valeur manœuvrière. 

Nous avons ainsi fait du bon travail et je puis me vanter de n'avoir pas subi la moindre perte. 
Pourtant mon escadrille est, en Flandre, celle qui eut le plus grand nombre de victoires homologuées."

Le 9 Août 1917, pendant l'offensive des Flandres, René était devenu un virtuose en voltige et un expert en tir, puisqu'il pouvait tirer l'ennemi quelle qu'ait été sa propre position

Il a fait remonter ses plus grands succès à cette période d'exercices intenses.

{Parenthèse III : On me permettra de souligner que ceci laisse à penser que l'as Allemand de l'Africa Korps Hans Joachim Marseille, mort dans le crash de son Bf 109 G le 30 Septembre  1942, avait travaillé cette même capacité à partir de 1941 en ayant, peut-être, eu connaissance du texte de Fonck.}

Après le tragique 11 Septembre 1917 (mort de Georges Guynemer), Fonck chercha à venger son camarade. Il abattit en quelques jours deux biplaces. 

Le mitrailleur du second avion se battait particulièrement bien mais notre chasseur évita toutes ses balles pour finir par tuer le pilote de l'avion. 

Après s'être posé, René retourna en voiture près du crash de son ennemi et apprit par des officiers Français déjà sur place que les papiers de l'observateur étaient au nom de Wissemann, le vainqueur de Guynemer. 

Les Allemands nièrent cependant que Fonck ait abattu cet homme, attribuant sa mort à des chasseurs Britanniques.

Le seul problème, alors, c'est le fait - très surprenant - que les Britanniques ne nous en aient pas prévenu du tout.

Le groupe repartit à Verdun le 19 Janvier 1918.


Un jour, par très beau temps, René s'envola seul et commença par faire l'inventaire de ce qui volait sur le front. Il y avait une activité plutôt faible de part et d'autre. Quelques régleurs de tir volaient à basse altitude au-dessus des lignes Allemandes, mais assez loin de nos lignes.

Vers 4 500 m, 3 chasseurs pratiquaient une activité inhabituelle : Ils faisaient des pointes vers nos lignes puis repartaient. Celui du milieu paraissaient plus gros que ceux qui le flanquaient.

Mais, 800 m plus haut (donc à 5 300 m), cinq chasseurs protégeaient le dispositif. 
Tous ces avions étaient des Albatros, sauf le plus gros, d'un modèle inconnu de Fonck.

Notre héros décida d'abattre l'avion en cours d'expérimentation. 

Pour cela, il commença par monter à 6 200 m. Ensuite il fit un détour de 25 km à l'intérieur des lignes ennemies, au delà des "champs d'aviation" dont s'élevait des avions.  

Les huit avions du dispositifs lui apparaissaient comme de tout petits points. Il se rapprocha rapidement sans constater le moindre mouvement de méfiance de ses adversaires, puisqu'il venait de leurs lignes : "lorsqu'ils se dirigèrent vers les lignes Françaises, je me mis en piqué à toute vitesse vers les trois plus bas, surveillant d'un œil les cinq protecteurs.
Tout allait bien. 
Ma victime convoitée marchait en ligne droite, flanquée à 30 mètres derrière, en triangle, de ses deux Albatros. (...)
Non, c'était l'avion précieux, l'avion d'essai que je voulais.
Là-haut, les cinq n'avaient rien vu, les autres semblaient toujours calmes... n'étais-je pas au moins encore à 15 kilomètre chez l'ennemi ?
En trombe, je passais aile à aile entre les deux coéquipiers, ils me regardèrent, moi aussi, mais ils durent garder un grand souvenir de la cigogne peinte sur mon fuselage."
Effarés, ils firent chacun un virage afin de me prendre derrière, c'était ce que j'avais prévu.
Une seconde me rapprocha encore de mon but : le gros monoplace tout neuf dont je distinguais les moindres détails.
A ma première rafale, une flamme s'en dégagea qui, immédiatement grossit- l'avion flambait - j'avais  gagné !..."

Ce récit me paraît bien définir l'esprit brillant et rigoureux de René Fonck. 
  • Il repère tout de suite un avion inhabituel fortement escorté : C'est donc un avion dans lequel l'ennemi place beaucoup d'espoirs : Il faut donc absolument le détruire.
  • Cet avion est très protégé. Il est impossible de l'attaquer de face, il faut donc l'attaquer de dos, en venant du camp Allemand.
  • Pour cela, il faut commencer par monter au plafond du Spad (parce que cette altitude est très inconfortable : Froid intense et oxygène rare) en même temps qu'il faut faire semblant de s'éloigner de sa proie.
  • Ensuite il faut revenir vers le groupe qui vole à 4 500 m puis piquer dessus en profitant de la sidération de l'escorte.
Cette méthode était possible parce que le Spad montait très bien, qu'il était le chasseur le plus rapide et enfin qu'il disposait de la plus forte vitesse de piqué.


En Mars 1918, la Spa 103 revient vers la Champagne.

Le 23 de ce mois, l'escadrille fut tirée du lit parce que Paris était bombardé. Pourtant, personne n'avait vu le moindre bombardier, ce qui fut interprété en imaginant que les avions devaient voler extrêmement haut ! 

Mais aucun bombardier ne fut aperçu (ce qui, connaissant la capacité visuelle de René Fonck, augurait mal de l'existence de tels bombardiers). 

Le lendemain, on annonça - au milieu d'un scepticisme général - que le bombardement était fait au moyen d'un gros canon, ce qui paru technologiquement invraisemblable. 

Pourtant ce canon, que nous appelâmes la Grosse Bertha (honte à Wikipédia qui la réfère sous son nom Allemand : C'est du nom donné par ses victimes que les Français qui compte pour nous), existait bel et bien.

Un des amis de Fonck, l'Américain Collins paya malheureusement de sa vie une montée à trop haute altitude pour sa capacité respiratoire.


Peu après, l'avancée de l'offensive de Luddendorf vers Amiens bouscula violemment nos alliés Britanniques. Fonck vécut alors ce qu'il appelait la charge de l'Aviation. 

Ayant vécu ce moment intense, où tous les avions disponibles de la Division Aérienne avaient été envoyer mitrailler ou bombarder les troupes ou les convois de l'ennemi, l'offensive fut bloquée : "Pour la première fois, nous avons remporté seuls un grand succès stratégique" se réjouit Fonck. 

Il était évident pour lui, qui avait vécu cette "charge", de proposer la création d'une cavalerie aérienne vers 1937 pour bloquer les futurs déferlements des armées teutonnes. 

L'idée fut effectivement retenue mais on demanda au Lieutenant Delattre de la réaliser sans lui donner les moyens d'en faire, en temps et en heures, une spécialité puissante. 


Fonck essayait tout le temps de rendre ses pilotes moins vulnérables, mais le message pouvait être oublié...

Un jour de 1918, le lieutenant Emile Letourneau, membre de l'escadrille qu'il commandait, attaqua un biplace de chasse, "comme un zouave, faisant carrément le match de tir dans le meilleur secteur de défense du mitrailleur Allemand. 
(...)
Le soir, à la popote, explication du coup. Et l'on voit soudain, à la stupéfaction de tous, Fonck, jusque le silencieux, rouge de colère, s'écrier : "Oui, je vous le répète, vous ne voulez pas m'écouter ! Vous vous y prenez comme des manches et vous serez tous descendus. Moi seul, ici, reviendrai de la guerre."
L'amitié, la camaraderie, l'appréciation de la vérité avait fait sortir le calme Fonck de ses gonds."

Il est, malheureusement, très probable que cette algarade ait suffi pour braquer bien des pilotes contre Fonck, parce qu'il avait, bien évidemment, raison, certes, mais aussi parce que tout le monde n'avait ni la patience ni le talent nécessaires pour appliquer sans arrêt ses consignes.

Pour éviter le renouvellement des carences qui avaient entraîné les douloureux débuts de la Grande Guerre et, bien sûr, pour soutenir les investissements du pays dans l'Aviation, René fonck décida de se porter candidat à la députation (Chambre Bleu Horizon). 

Il fut élu. Mais sa carrière politique ne dura qu'une seule législature et lui valut l'hostilité permanente de ses adversaires politiques.

Il tenta l'aventure de la traversée de l'Atlantique mais le défaut de résistance du train d'atterrissage provoqua la destruction de l'avion, pourtant remarquablement conçu par Sikorsky.

Pendant les noires années de l'Occupation Allemande, il resta en France, ce qui lui fut reproché. Jeté en prison à la Libération, fin Août 1944, il fut libéré en Décembre sans aucune charge retenue contre lui.

Néanmoins, amer et attristé, il succomba le 18 Juin 1953.



Fonck était un chasseur vraiment à part et son palmarès de 75 victoires officielles cache de 51 à 69 victoires supplémentaires.
  • Parce que, après la disparition de Guynemer, il devint l'as des as de 1914-1918, non seulement des Français mais de toutes les nations amies et ennemies confondues. 
  • Parce que, enfin, il revint toujours de ses combats de chasseur sans une seule balle dans son avion.
Ce dernier point paraît incroyable, mais, comme Fonck ne bénéficia jamais de l'aura de Guynemer, il est certain que de "bonnes âmes" n'auraient pas manqué de souligner la moindre inexactitude sur ce point.

Par contre, pendant la longue période qui précéda son entrée dans la Chasse, ses avions revinrent à la base fortement décorés par les impacts de balles, voire d'obus

Trois raisons me semble pouvoir expliquer cette contradiction entre la vulnérabilité de Fonck avant son entrée dans la Chasse et son invulnérabilité après
  • Les avions d'observation Caudron G4 étaient des avions de grande taille, avec une voilure biplane de 38 m² de surface, pour une masse au décollage de l'ordre de 1 200 kg en version de réglage de tir (sa charge alaire était de 31.5 kg/m²). Donc des balles moins bien ajustées par ses ennemis pouvaient quand même les impacter.
  • Le Spad VII, considérablement plus petit, volait près de 50 % plus vite et était bien plus agile, malgré une charge alaire bien plus forte.
  • Lorsque Fonck était arrivé dans la Chasse, il avait déjà plus de 500 heures de vol dont l'essentiel consistaient en vols de guerre soumis au feu anti-aérien du sol (Flak + armes d'infanterie) et à la chasse ennemie. Il avait déjà des victoires obtenues au moyen d'un bimoteur lent (132 km/h). Il venait enfin de trouver le matériel lui donnant l'occasion d'exprimer complètement ses capacités ahurissantes.
  • Son hygiène de vie (pas d'alcool, pour avoir de bons réflexes, pas de tabac, pour pouvoir voler le plus haut possible) et son sangfroid exceptionnel le garantissaient contre les petits dérapages qui favorisent les vues de l'ennemi. Mais, ce faisant, certains le trouvèrent distant, et les mauvaises langues, plus tard, le firent passer pour méprisant.

La combinaison de son palmarès unique et de son apparente immunité démontre qu'il était le véritable expert tactique du combat aérien et que notre pays se serait bien trouvé d'appliquer ses théories.

Mais, en haut lieu, tout le monde avait décidé que le héros de la Grande Guerre serait Guynemer, qui, lui, avait donné sa vie. 

C'était sans comprendre que Fonck voulait tuer des Allemands tant qu'ils étaient en France. Il recommença 20 ans plus tard.



Recettes du combat aérien ?


Le combat aérien, discipline complexe s'il en est, met en évidence les qualités des avions engagés, bien évidemment, mais surtout la valeur des guerriers qui les pilotent.

On doit absolument ajouter à l'équation, pour être complet, en amont, les qualités des instructeurs qui les ont formés. 

On pourrait même y associer les qualités du commandement qui dirige ces guerriers. Encore faudrait-il, pour cela, que ce commandement soit mû par une expérience - au moins partielle, mais solide - de la question.

Lorsque Philippe Pétain a demandé au commandant Tricornot de Rose de lui nettoyer le ciel de Verdun en 1916, après avoir exigé (et obtenu) que la Chasse de Verdun soit équipée de Bébés Nieuport, il a démontré les plus grandes capacités de commandement aérien qu'il était possible de démontrer alors :
  • Le commandant de Rose était le visionnaire qui avait anticipé la nécessité de la Chasse aérienne (sa mort accidentelle nous a privés d'un homme essentiel).
  • Après avoir obtenu les informations les plus pertinentes sur les avions disponibles, il avait choisi les meilleurs du moment.
  • Il avait également obtenu les meilleurs pilotes de France dont Navarre.
  • De facto, il avait créé, sans la nommer, la notion de maîtrise de l'Air qu'il avait précisée l'année suivante dans une instruction de Décembre 1917 (source Wikipédia : "L’aviation doit assurer une protection aérienne de la zone d’action des chars contre l’observation et les bombardements des avions ennemis."

{Parenthèse III : Ce que je viens d'écrire n'efface en rien, 22 ans plus tard, que Pétain ait accepté de donner une apparence de légitimité à un gouvernement créé par l'ennemi uniquement pour obéir à ses ordres. 

Contrairement à ce que disaient ses partisans, il n'a en rien épargné les pertes humaines de notre pays.

Pire encore, il a contribué puissamment à l'affaiblissement de notre pays. Ce fut donc une trahison...}

Mais, vingt ans plus tôt, ce maître du combat d'Infanterie avait eu l'intelligence de laisser les aviateurs juger par eux-mêmes des tactiques et autres méthodes qu'ils auraient à employer

Le Général Duval, en créant la Division Aérienne joua aussi ce rôle positif d'un grand stratège aérien.                                                                                                                                                                                                             
En Février 1916, la guerre aérienne avait moins de deux ans : Les meilleurs pilotes militaires n'en avaient encore qu'une compréhension très partielle. 

Le 11 Novembre 1918, il n'en allait plus de même, il suffit de voir la charge de la Division Aérienne, les écrits de Fonck et ceux du sous-lieutenant Jean-Abel Lefranc (L'Aérophile, 1919) : 
  • On avait compris que la chasse fondée sur des rencontres individuelles aléatoires n'était pas suffisamment efficace (tout le monde n'ayant pas la vision exceptionnelle de René Fonck) ;
  • On avait donc développé des méthodes de repérage acoustique des avions ennemis permettant de mettre plusieurs avions en l'air en les informants - préalablement (il n'y a pas encore de radiophonie) - de la zone à explorer.



Document personnel de l'auteur - Paraboloïde de repérage acoustique -
Le soldat situé à l'extrême droite repère le vol suspect.



  • On avait mis au point une DCA déjà extrêmement dangereuse qui interdisant la basse altitude au moyen de batteries de mitrailleuses et la haute altitude avec des canons de 75 mm
  • On prétendit très tôt que que cette artillerie n'avait aucune précision. 
  • Cette idée fut combattue par Guynemer, en toute connaissance de cause, puisqu'il avait été descendu alors qu'il volait à 3 000 m par un de nos canons de DCA, ce qui lui avait valu un exercice de très haute voltige pour récupérer son avion à très peu de distance du sol. Il va de soi que les Allemands n'étaient pas restés les deux pieds dans le même sabot : Leur DCA aussi, était efficace. 



Document personnel de l'auteur - Canon de DCA de 75 mm, version très primitive pivotant sur un arbre coupé tout en conservant les roues...

Document personnel de l'auteur - Canon de DCA automoteur stabilisé, probablement en début de 1918. 



Au niveau de la Chasse elle-même, les Français avaient commencé les combats avec des pilotes d'une habileté exceptionnelle dont la guerre avait fait, hélas, une grande consommation.

Par définition, plus le temps passait, moins le temps de formation au pilotage acrobatique et au développement de l'esprit tactique était suffisamment long. 

Il fallait donc choisir les avions les plus rapides et les meilleurs grimpeurs pour frapper l'ennemi le plus vite possible : Le choix du Spad était inévitable, d'autant plus qu'il restait quand même un avion très agile.


La méthode de Chasse en elle-même différait peu entre le "père Dorme", qui rentrait avec son avion généralement vierge de tout impact de balle et Guynemer qui rentrait avec son avion constellé d'impacts.

Guynemer constatait : "pourquoi cette différence ? Nous avions à peu près les mêmes méthodes d'attaque, nous procédions suivant des principes uniformes, approchant l'ennemi à bout portant.

Alors ?
La raison est simple : Dorme était plus manœuvrier que moi. Il demandait à sa virtuosité de l'aider au moment de l'attaque et quand il constatait qu'il n'était pas sûr du succès, il vrillait et rompait le duel.

Moi, au contraire, je pratique le vol normal, je ne recours aux acrobaties que lorsque c'est le dernier moyen à essayer. Je reste accroché à mon adversaire comme si je rageais et, quand je le tiens, je ne veux pas le laisser échapper.

Ces deux systèmes ont leurs qualités et leurs défauts, ce qui ne doit pas vous étonner, la perfection n'étant pas de ce monde.
(...)

Je ne tirerais qu'une conclusion de ces deux façons de combattre, et elle est d'une importance capitale, c'est que la Chasse doit se pratiquer selon le tempérament, selon le caractère de chacun

Tant qu'elle constituera une prouesse individuelle, il en sera ainsi."
                                                                                                                                                   
Depuis cent ans la Chasse a été employée dans d’innombrables guerres.

Tous les pilotes de chasse ne deviennent pas des as, mais on a pu constater qu’effectivement, certains ont une manière de pratiquer leur art, d’autres en ont une autre, ce qui correspond bien à ce que Guynemer pressentait.   

Comme toute activité de confrontation entre êtres humains, elle fait la part belle à la surprise. La manière d'imposer ses vues à un adversaire est entièrement personnelle.                                                                                                                                                           Cependant, Fonck eut une intuition géniale malheureusement vite oubliée : Il pouvait, à la fin de la guerre, constater la différence entre sa méthode de combat et celles des autres pilotes.

La sienne était de loin la plus efficace. Il a très bien expliqué pourquoi : 
  • Il était entré dans la Chasse après un long parcours fait de vols longs et périlleux dans le réglage de tir d'artillerie, les reconnaissances à faibles puis moyennes distances et le bombardement.
  • Il connaissait parfaitement l'importance de la connaissance de l'information nécessaire aux armées. 
  • Il savait aussi comment ramener un avion blessé à la maison.

L'ensemble de cette connaissance lui avait permis de comprendre les pièges à éviter. 

On me pardonnera, j'espère, de dire qu'il avait vécu l'entraînement type TOP GUN avec 55 ans d'avance sur la création de cette institution de l'US Navy !      

Il a écrit : "Il faut verser dans la Chasse des aviateurs expérimentés et ne pas admettre dans cette catégorie des débutants.

Le novice, s'il a un cran superbe, sera descendu dans les trois premiers mois d'essais, et, s'il est prudent, restera inutile pendant au moins six mois."   

Ses lignes étaient prophétiques mais tombèrent complètement dans l'oubli.