mardi 27 décembre 2011

Le Curtiss H 75, un chasseur très surestimé, un successeur bâclé, mais des pilotes d'exception ! (Modifié le 12 / 01 / 2024 *** ***)

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La mauvaise gestion par l'Etat de l'industrie aéronautique Française


Du fait que, en 1935 puis en 1936, l'Armée de l'Air Française avait accepté de commander des avions déjà totalement périmés (comme les Dewoitine 510, 373 ou le Loire 46)
C'est que l'outil industriel de la France n'avait pas encore pu se mettre en place de la mi-1937 à la fin de 1939. 

En effet, les nationalisations avaient complètement bouleversé le fonctionnement des usines.

Certains gardiens de la Foi - pour justifier leur options politiciennes, ne se fondent que sur les nombres de sorties datées du 24 Juin 1940, alors que divers personnages avaient outrageusement trafiqués "ces chiffres de productions", après l'Armistice ou juste avant la Libération.

Cette  s'explique :Au  départ, de nouvelles hiérarchies avaient été imposées dans les entreprises, composées d'hommes riches de diplômes, certes mais totalement dénués des compétences pratiques et humaines indispensables au commandement à l'intérieur d'un processus industriel. 

En conséquence, les bureaux d'étude perdirent la main sur les équipes de mise au point et donc, également, sur une leur motivation.

Henri Deplante signale par ailleurs, dans ses mémoires, que les fameux crédits d'armement n'arrivèrent aux usines qu'en 1938, bien trop tard.

Aucun des 16 Morane-Saulnier 405 de présérie commandés en Novembre 36 n'était donc sorti pendant toute l'année 1937.

Les premiers MS 406 de série ne sortirent, au compte goutte, que pendant la fin de la seconde moitié de l'année 1938 ! 


Face à ce désastre évident, le gouvernement réagit enfin en réintroduisant certains anciens patrons (Marcel Bloch, Emile Dewoitine, Henri Potez) à leur place de direction sous le statut d'administrateurs délégués.

Le virage vers la production de masse ne commença réellement qu'au tout début de 1939.

Mais on garda quand même en production un avion de chasse raté et archaïque, le Morane 406 ! 

Ce retard d'une année pleine eut un impact catastrophique sur la production des cellules comme des équipements. 

Au niveau de la CGT, la tentation de tout politiser à l'imitation du système soviétique était renforcée et n'arrangeait rien.
Suivre la politique étrangère de Staline imposa à certains militants de changer de point vue à 180° au moment où la guerre devenait inévitable pour nous (les Alliés). 
{Le déclenchement de l'opération Barbarossa, le 22 Juin 1941, ne suffit pas encore à ouvrir les yeux du dictateur communiste !}.


La ruineuse commande d'un chasseur déjà ancien


A la suite d'une vigoureuse offensive publicitaire Américaine, largement relayée par le sénateur Amaury de La Grange (les USA de FD Roosevelt avaient un urgent besoin d'argent), nous avions commandé un chasseur, le Curtiss H 75, une des nombreuses sous-versions du P 36 de l'US Air Force, dont l'étude avait commencé en 1934 et dont le premier vol remontait au 13 Avril 1935.

Non seulement nous devions le payer au prix fort (2 350 000 FF soit plus de deux fois le prix d'un chasseur national, alors qu'un Spitfire Mk I, de 90 km/h plus rapide, coûtait 2 666 000 FF), mais, en plus, nous devions investir aux USA pour édifier les usines où il devait être construit ! 

Cet avion était long de 8.70 m.

Sa masse (à vide) était de 2050 kg et passait à 2 600 kg au décollage.

La voilure avait une envergure de 11.37 m et une surface de 21.92 m², ce qui lui donnait une charge alaire de 120 kg/m² (gage d'une très bonne maniabilité).


Pendant ce temps là, les équipementiers Français qui fabriquaient les canons, les hélices, les radios, les instruments de vol, les viseurs, les trains et les déclencheurs de tir devaient, eux, en rester au stade artisanal, ce qui retardait encore les sorties du matériel national.

Or, ces équipements avaient acquis un rôle considérable dans les performances et la mise en œuvre des avions :
  • C'était le cas des hélices à pas variables qui permettaient d'atteindre les vitesses les plus élevées en vol horizontal ET en montée. 
  • Il en allait ainsi des échappement propulsifs qui permettaient de gagner de 10 à 25 km/h en pointe mais qui exigeaient des alliages métalliques de très haute tenues à haute température (aciers inoxydables). 
  • C'était enfin le cas des équipements radio.
Ces équipements ne commencèrent à sortir "normalement" que très peu avant le 10 Mai 1940.

Cela n'empêcha pas nos gouvernants de commander ces Curtiss avec un armement aux normes Françaises, ce qui les priva de l'excellente mitrailleuse de 12.7 qu'ils portaient à leur naissance.

Et pourtant, cet avion était déjà totalement dépassé (sauf sur deux points).




Curtiss H 75 - Une cellule solide mais insuffisamment aérodynamique



Il fut même annoncé que cet avion, aux mains d'un pilote Américain, bien sûr, avait atteint - aux USA, en 1938, trois mois après les accords de Münich - 925 km/h (575 mph) en piqué.
 
L'arrivée du premier Curtiss en France provoqua donc une véritable hystérie médiatique. 

C'était une publicité outrageusement mensongère, dont les pilotes US de P 47 Thunderbolt (chasseur US le plus rapide en piqué) riaient encore des années plus tard. 

D'abord, parce que l'avion manquait visiblement de finesse aérodynamique, ensuite parce que sa VNE (Velocity Never Exceed = vitesse lue sur l'anémomètre et qu'il est interdit de dépasser) était seulement de 550 km/h (http://www.gc2-4.com/NMACpem.htm)

{Correction du 28/04/2021 : La lecture du manuel de vol en Anglais du Curtiss H 75A donne une vitesse supérieure de 716.2 km/h (455 mph), mais, à haute altitude, ces deux valeurs peuvent coïncider.}

Au-dessus de cette vitesse, la cellule de l'avion risquait d'être soumise à des déformations irréversibles (ce qui exigerait soit la réforme de l'avion, soit sa reconstruction). 


Bien sûr, on peut imaginer qu'il s'agissait alors d'une vitesse lue à très haute altitude et convertie en vitesse au niveau de la mer : En effet, la vitesse indiquée par l'anémomètre diminue au fur et à mesure que l'altitude augmente (et que la pression atmosphérique diminue), la vitesse annoncée n'aurait pu être obtenue, en respectant la VNE, qu'à 8 ou 9 000 m d'altitude.

Dans ce cas, cependant, on ne voit pas comment le pilote aurait pu éviter d'outrepasser les limites de résistance de l'avion.

D'ailleurs, dans un article de la revue Britannique Flight datant de 1939 ou 1940, après avoir rapporté la revendication de vitesse américaine, il était rapporté que les pilotes Français qui avaient tenté des piqués à grande vitesse avaient été dissuadés dès qu'ils avaient atteint juste 800 km/h, car ils avaient perdu des éléments de leur avion ! 

Seuls les chasseurs les plus aérodynamiques du moment piquaient (au mieux) à 850 km/h. 

C'était le cas - en 1940 - du Dewoitine 520, du Messerschmitt 109 E et du Spitfire Mk I

Leur VNE était, à ce moment là, de 650 à 660 km/h indiqués. Plus tard, ils furent encore renforcés.

Le Curtiss était loin d'avoir cette capacité. Dommage pour les contes de fées...


Des performances médiocres


Malgré tout, ses performances semblaient encore très honnêtes pour 1938.

Les vitesses de pointe étaient (http://www.gc2-4.com/NMACcpm.htm - Ce site n'est, hélas, plus en service, mais celui-ci peut vous intéresser) ,:

  • 415 km/h  au niveau de la mer,
  • 424 km/h    à  1 000 m
  • 451 km/h    à  2 000 m
  • 469 km/h    à  3 000 m
  • 486 km/h    à  4 000 m (vitesse de pointe)
  • 480 km/h    à  5 000 m
  • 472 km/h    à  6 000 m
  • 460 km/h    à  7 000 m
  • 449 km/h    à  7 500 m. 
{Les Messerschmitt 109 B, C ou D, en service au même moment, volaient 20 km/h moins vite.}

Les vitesses de montée du même chasseur Curtiss étaient :
  • 1 000 m  en   0' 49"                  
  • 2 000 m  en   1' 47"       (les derniers 1 000 m en 0' 58")
  • 3 000 m  en   2' 58"       (les derniers 1 000 m en 1' 01"   =  61"  soit  + 3")
  • 4 000 m  en   4' 29"       (les derniers 1 000 m en 1' 31"       91"         +30")
  • 5 000 m  en   6' 18"       (les derniers 1 000 m en 1' 49"     109"         +18")
  • 6 000 m  en   8' 24"       (les derniers 1 000 m en 2' 06"     126"         +17")
  • 7 000 m  en 11' 07"       (les derniers 1 000 m en 2' 43"     163"         +37")
  • 8 000 m  en 14' 57"       (les derniers 1 000 m en 3' 50"     230"         +67")
  • 9 000 m  en 21' 53"       (les derniers 1 000 m en 6' 56"     416"       +187").

On voit au premier coup d’œil que, dès le passage des 4 000 m d'altitude (atteints en 4' 30"), le moteur passait aux abonnés absents et il fallait 10' 30" pour passer de 4 000 m à 8 000 m,.  

On constate aussi que le temps par tranche de 1 000 m augmente dès 3 000 m d'altitude de manière significative.

Cet avion ne pouvait donc pas, en cas d'alerte, intercepter
 à coup sûr les avions espions, sauf si l'alerte parvenait à son pilote alors qu'il était déjà vers 4 ou 5 000 m !

Le plafond pratique de 9 700 m était tout juste honnête.

L'autonomie de convoyage, avec 1 600 km, par contre, était excellente. 


A cela s'ajoutait une vraiment très bonne maniabilité (Michel Détroyat, le 22 Décembre 1939, livra la mesure d'un 360° à relativement basse altitude (Source : Curtiss Hawk H 75, J. Cuny & G. Beauchamp, Docavia #22:
  • 12 secondes pour le Curtiss H 75,
  • 15 secondes pour le Dewoitine 520
  • 18 secondes pour le Morane 406.
Il n'avait donc aucun problème en combat tournoyant pour dominer les MS 406 ou les bimoteurs lourds.

En outre, le Curtiss avait une grande facilité de pilotage et son moteur Pratt & Whitney se montra très résistant, pour les trois premiers standards (A1, A2 et A3) en service dans notre armée.

Le dernier moteur (Wright) - celui de la version A4 - plus puissant (1 200 Cv) mais très fragile, déçut considérablement pilotes et mécaniciens Français. 

Mon ami Jean-François Hénin m'en a fourni l'explication : Ce moteur, destiné à motoriser des avions de transport, n'ayant pas un système de lubrification adapté à la voltige, donc à la Chasse, il grillait après les figures inversée.

C'est la démonstration évidente que nos "acheteurs" manquaient singulièrement de compétence technique et de professionnalisme.



Pour les 3 premiers standards, malheureusement, les performances dépendaient du travail déjà demandé au moteur

Si la puissance maximum de 1065 Cv avait déjà été sollicité plus de cinq minutes, il fallait attendre vingt minutes sans dépasser 950 Cv pour pouvoir recommencer. 

La vitesse maximale chutait alors à 460 km/h qui restait donc très proche (quoiqu'un peu supérieure) de celle du MS 406. 

Difficile, dans ce cas, d'enchaîner les combats, comme c'était nécessairement le cas en 1940, vu notre sous-effectif chronique face à la Chasse Allemande. 

Facteur aggravant, l'armement resta toujours très faible sur cet avion, (4 mitrailleuses de 7.5 mm, 6 ensuite mais bien trop tard) ce qui lui interdisait de conclure rapidement ses engagements face aux bombardiers. 

Nos décideurs refusèrent les excellentes 12.7 mm Américaines Colt-Browning (que produisaient la FN Belge de Herstal), ce qui enleva tout leur punch à ces avions.

Il va de soi que 4 mitrailleuses lourdes (voire seulement 2) leur auraient permis un palmarès bien plus impressionnant.


De sacrés pilotes


Pour compenser ces problèmes, les premiers pilotes à recevoir cet engin faisaient partie des mieux notés, de ceux qui pouvaient le mieux tirer partie de la maniabilité de cet avion. Ils avaient d'ailleurs fait partie des aviateurs Français envoyé au Meeting de Zürich (1937) pour défendre les chances de nos Dewoitine 510.

Ils étaient réunis dans une unité d'élite, le groupe I/5 du Commandant Murtin. 

Tout naturellement, dès le 10 Mai 1940, ils ont été capables de faire plus de sorties quotidiennes que leurs camarades des autres groupes et virent ainsi plus souvent l'ennemi. 

Dans ce contexte, leur talent et l'excellence de leur entraînement leur permirent de justifier du meilleur palmarès de la campagne 1939-1940 (111 victoires
 au total).


Les as Jean-Marie Accart (15  victoires) et Edmond Marin La Meslée (20 victoires) furent du 3 Septembre 1939 au 15 Juin 1940, les plus fameux pilotes de cette unité . 


Mais on n'a jamais confié ces engins à des groupes simplement moyens. Si on regarde l'activité de ce même chasseur dans d'autres pays, force est de constater qu'il n'y a pas brillé particulièrement. 

J'ai toujours rêvé de voir le palmarès qu'auraient pu obtenir le Groupe I/5 avec des Dewoitine 520 ou des Nieuport 161...


Pour terminer sur une note positive, le Curtiss P 36 (le même avion, mais sous sa nomenclature d'origine) fut crédité de la première victoire d'un pilote US contre un Mitsubishi A6 M2 Zéro lors de l'attaque Japonaise sur Pearl Harbour, le 7 Décembre 1941. 

Une sacré carte de visite, quand même, face à l'élite de l'Aéronavale Japonaise...



Un Successeur ?

La maison Curtiss, ayant obtenu un succès d'estime sur son H 75 / P 36 trouva logique de transformer son chasseur en greffant un moteur en ligne à la place de son moteur en étoile.

C'était une idée parfaitement logique, au moins en apparence : On gagnait considérablement en terme de section de fuselage.

Mais on perdait aussi énormément en terme de masse de moteur et de radiateur. 

Ainsi, le moteur P & W R 1830 du P 36 pesait 570 kg à sec, tandis que le moteur Allison V- 1710-39 du P 40 D pesait 635 kg à ses débuts soit 65 kg de plus. 

Mais, pour refroidir cet avion, il fallait rajouter le liquide de refroidissement (environ 100 litres par 1 000 Cv, donc ici de 110 à 120 kg). avec des liquides un moteur d'un chasseur.


Curtiss P 40 F aux couleurs Britanniques (mais avec un moteur Merlin)



L'avion de série (P 40 D) testé à Wright Field, Ohio, le 21 Juillet 1941, pesait 3 500 kg au décollage. 
Cela signifie que la charge alaire était désormais de 160 kg/m².

{Il est difficile de comprendre comment le P 40 pouvait avoir pris 900 kg d'un coup. 
Une prise de poids de 350 kg serait apparue normale. 
Il n'y a pas d'explication logique pour expliquer le reste.}


Son moteur développait 1085 Cv à 3 000 t/m et à 4 500 m d'altitude.

La vitesse de pointe était de 525 km/h à 1 500 m et de 570 km/h à 4 500m.

Les performances ascensionnelles étaient correctes jusqu'à 4 500 m et se dégradait rapidement au dessus :
  •  1 500 m           1' 56"
  •  3 000 m           2' 53"
  •  4 000 m           5' 05"
  •  4 500 m           6' 22"
  •  6 000 m         10' 00"
  •  8 000 m         16' 12"
  •  9 320 m         35' 00"  (Plafond pratique)
On voit que, à la moitié de l'année 1941, le P 40 était loin d'être un atout, que ce soit contre le Bf 109 F ou contre le Mitsubishi A6M2 Zéro.

Il était très lent en montée et n'était à son meilleur niveau qu'à basse altitude.

C'est cette version qui fut opposée avec succès au Dewoitine 520 en Syrie, probablement parce que les pilotes de Vichy avaient été parfaitement intoxiqués par la propagande US. 


Lorsque Curtiss a compris, fin 1942, qu'il allait perdre ses contrats de chasseurs, cette firme effectua une refonte aérodynamique complète de son appareil (P 40 Q).



P 40 Q  : Un avion très affiné qui pouvait voler à 680 km/h vers  9 000 m, altitude atteinte en moins de 12 minutes


Ce fut parfaitement réussi, puisque ce P 40 Q était équivalent au Focke-Wulf 190 D 9 de 1944, mais il était deux ans trop tard. Toutes les places étaient réservées au P 51 D.

Ce travail aurait dû être réalisé au moment du changement de moteur (fin 1938).






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